Pêche

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Le chalutier Craonne-Beaurieux, par Henri Moulinier

Ce navire anglais de type « castle » en acier gréé en ketch était un bateau à vapeur fonctionnant au charbon, mu par un moteur 3 cylindres 87 HP provenant de chez Bellis et Morcom à Birmingham. Sa jauge brute était de 276 tonneaux, son tonnage net de 109 tonneaux. Il était large de 23,6 pieds et long de 125,6 pieds avec un tirant-d’eau de 12, 7 pieds. Le chalut se trouvait sur le côté du bateau. 

 Il fut construit par John Duthie de la « Tory Shipbuilding Co.»  à Aberdeen, en Ecosse au profit de l’amirauté anglaise, qui le lança en décembre 1918 sous le nom de Peter Killen. En mars 1919, ce vaisseau fut finalement terminé en navire de pêche, et cédé en avril de la même année à J. Craig, d’Aberdeen. Ce dernier le revendit en mars 1920 à J. Ford, de Plymouth. Lequel s’empressa de le céder de nouveau en février 1922 à la « Killen steam fishing Co. », de Fleetwood.   
              René Maubaillarcq et Cie achète ensuite le Peter Killen, rebaptisé en avril 1924 Craonne-Beaurieux et enregistré à La Rochelle. Ce nom fait référence à deux villages de l’Aisne liés à des batailles de la guerre 14-18[1].

 


[1] Le Craonne-Beaurieux fait partie de l’armement Maubaillarcq  durant plus de 9 ans. En septembre 1933, René Maubaillarcq dut le revendre à la « Hudson steam fishing Co. » de Hull. (Mille ans d’histoire à Bouhet).

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L’Isole : du 15 mai au 12 Août 1949

  Un récit de Lucien Joubert

 

 Le chalutier que j’avais trouvé pour mon premier embarquement était un vapeur qui avait connu des jours meilleurs ! Il devait dater d’avant la première guerre mondiale. L’Isole avait une trentaine de mètres de long, une machine alternative à vapeur, très bien entretenue. C’était un navire envahi par les rats avec un équipage de Bretons, pour la plus part de grands buveurs. Le patron Joseph Leduc, dit Job, était un homme charmant, qui approchait de la retraite, originaire de Sarzeau, Morbihan. Le second Henri Jacob, originaire de Groix m’a été très précieux pour mon intégration dans ce monde de la pêche rochelaise ou les Bretons étaient les rois. Henri, menteur, bon buveur à terre fut pour moi un très grand professeur et conseiller.

Sur ce navire, les départs étaient laborieux. La moitié de l’équipage était ivre ! Mon premier appareillage fut un peu particulier… Je fus tout de suite mal vu par l’équipage : « je n’étais pas Breton ». Au moment de l’appareillage, il fallut d’abord laver le bateau, recouvert d’une épaisse couche de poussière de charbon, il y en avait partout. Le Bosco, Henri Jacob m’a demandé de l’aider, ce que j’ai fait avec plaisir. Ce qui m’inquiétait un peu, c’est que l’eau effleurait le pont, les marques de franc-bord étaient sous le niveau de la mer. La sécurité était loin d’être respectée. Avec cela, il faisait un temps exécrable. On a largué les amarres et sitôt sortis… vive le mal de mer ! Des odeurs pas très catholiques, l’humidité, les chants des matelots ivres qui se battaient à coup de sabots ou de bouteilles et se réconciliaient avec un verre de vin… C’était vraiment nouveau pour moi ! Il a fallu assurer le quart et comme pas mal de matelots étaient hors course, le quart revenait souvent. Nous avions un compas très ancien, c’est le seul que j’ai connu comme cela, le patron était de l’ancienne école, on ne naviguait pas au degré mais au cap, les degrés n’étaient pas marqués sur le compas il y avait la rose des vents, les quarts, les demi et les demi-quarts. Aussi quand on m’a passé la consigne au moment de prendre la barre, je suis tombé des nues ! Cap au nord-ouest quart ouest demi nord, pour moi c’était de l’hébreu ! Cela correspondait à environ au 312, 314°.C’était vraiment de l’à peu près… Mon prédécesseur m’a traité de bon à rien, il n’avait pas tort !  Je savais quand même gouverner, car, que ce soit un navire de pêche ou un navire de guerre, le travail était le même. Heureusement, il y avait des braves matelots et celui qui prenait le quart avec moi était de ceux-là. Il m’a expliqué patiemment comment ce compas fonctionnait. Par la suite, je devais rencontrer pas mal d’anciens patrons navigant encore de cette manière, mais, très vite, avec la nouvelle génération, cette manière de naviguer a disparu. Seuls, ceux qui étaient capables d’assurer le quart montaient à la passerelle. En théorie, les quarts étaient assurés par deux matelots, c’était la loi mais comme il n’était pas rare de n’être que trois ou quatre à assurer…

Pour la nourriture, le cuisinier n’était pas un fin cordon bleu ! Au moment du départ , il apportait à l’avant pour onze hommes, un immense plat de charcuterie, pâtés, saucissons, jambon blanc, et autres charcuteries traditionnelles et cela pour tout le temps que durait la route… Par la suite on ne voyait le cuisinier qu’après avoir mis en pêche, au moment de virer le chalut, il donnait un coup de main à trier le parc, afin de choisir le poisson pour les repas. C’était poisson midi et soir, rôti, frit, bouilli, ragoût, et autres soupes, sans goût, à peine relevées. A la fin de ma navigation sur ce bateau, moi qui adorais le poisson, j’en avais un tel dégoût que rien que d’en voir sur la table, l’odeur me donnait envie de rendre !  Nous n’avions jamais de viande : c’était trop cher ! Et le poisson que nous mangions, c’était les rebuts, abîmés, blessés ou sans valeur. Pas question de manger du merlu ou quelques rougets barbets ! Ils avaient trop de valeur... C’est ainsi qu’à la question : « qu’est-ce qu’un marin ? », on répondait « animal se nourrissant de poisson, d’alcool et de tabac. » !

Au bout de trois jours, on est arrivés sur les lieux de pêche, à la Grande Sole (NDLR : zone de pêche sud Irlande), avec un fort mauvais temps tout au long de la route. Le matin, au moment de mettre en pêche, l’antenne de radio est tombée et, comme j’étais le plus jeune, le patron me donne l’ordre de monter en tête de mât pour la réinstaller. Ce jour là, il faut croire que je ne devais pas mourir ! Il faisait mauvais temps, et l’antenne était en tête de mât, là où il n’y a plus rien pour assurer la sécurité sauf le mât lui-même. Au moment ou je fixais l’antenne, un fort coup de roulis fit que mes deux pieds qui serraient fortement le mat glissèrent et je me suis retrouvé à balancer dans le vide à une quinzaine de mètres de hauteur, les mains cramponnées à un bout de ferraille qui tenait la poulie de la drisse d’antenne !  Elle était quand même solide, malgré la vétusté du bateau… Ce fut la peur de ma vie ! Plus tard, devenu patron, jamais je n’aurai demandé à un matelot de monter en tête de mât par un temps pareil et si, vraiment cela avait été indispensable, j’y serai monté moi-même.

Au moment de la mise en pêche, l’équipage n’avait pas encore récupéré. Ils mettaient en pêche, avec le costume et les souliers, dans l’eau de mer parfois jusqu’au ventre. Quatre heures plus tard, il fallait virer le chalut… C’était parfois épique, ils avaient gardé leur costume depuis le départ et arrivaient sur le pont au travail en souliers vernis ! C’est ainsi, qu’au premier coup de chalut auquel je participais, un beau coup de chalut, avec plus de cinq tonnes de chiens à étriper, j’ai vu ces messieurs en costume,  parmi les tripes et le sang ! Ils avaient belle allure ! Lorsque les paquets de mer et l’effort les avaient fait retrouver leur esprit, ils se changeaient et bourraient leurs vêtements mouillés et souillés dans le caisson. Arrivés à terre, quand ils les ressortaient tout fripés et parfois moisis, ils les jetaient par-dessus bord et en rachetaient d’autres, c’était ainsi toutes les marées.

Au bout de deux ou trois marées, je me débrouillais et je commençais à me défendre sur un chalut. Si je n’étais pas encore autonome, je n’avais pas de problèmes sur une déchirure franche. Cela m’a apporté beaucoup d’animosité de la part de certains membres d’équipage, qui voyaient, avec une grande jalousie, la protection que m’apportaient le patron et le second. Il faut dire que je n’étais pas paresseux. Si j’apercevais le second dans le magasin à préparer du matériel, j’allais lui donner un coup de main, ce qu’il appréciait beaucoup. Il m’apprenait les ficelles du métier, ce qui me permettait d’apprendre vite. Certains membres de l’équipage n’appréciaient pas du tout cette protection, pourtant je ne la cherchais pas, si ces hommes m’avaient pris en amitié, je n’y pouvais rien. Je finis par me faire traiter de lèche-cul, ils ne m’adressaient plus la parole, ce n’était pas gai…

Une marée, à peine après avoir quitté le quai, j’étais de quart avec mon matelot habituel, avec qui je m’entendais très bien. Bizarrement, alors que nous avions toujours plein de choses à nous raconter, il ne répondait pas à mes paroles. Dans le poste, plus personne ne me parlait, je me trouvais en quarantaine sans savoir pourquoi. Ce fut très dur. Déjà, au départ, l’équipage avait refusé l’appareillage, sous prétexte que je n’étais pas syndiqué. Quand je suis arrivé à bord, l’armateur m’en avait informé. J’ignorais complètement qu’il y avait un syndicat des marins à La Rochelle, et que c’était soit disant obligatoire. L’armement m’avait demandé de faire vite afin que le bateau puisse appareiller. Le secrétaire du syndicat était absent, alors, j’ai promis à l’équipage que je ferai le nécessaire à l’arrivée. Ils n’ont rien voulu entendre et nous ne partîmes que le lendemain après midi, quand j’ai pu présenter ma carte de syndiqué à l’équipage ! Je leur ai dit qu’ils auraient pu me prévenir. Pour moi, ce n’était pas un problème et il n’y aurait pas eu tous ces ennuis. L’armateur a rejeté sur moi la responsabilité de ce retard. Cela m’a fait mal voir par l’armement. Pourtant, l’armateur devait savoir que l’adhésion à un syndicat n’était pas obligatoire, et aurait pu le faire remarquer à l’équipage. Ainsi,  le bateau aurait pu appareiller à la date prévue. Toujours est-il que je me suis trouvé en quarantaine sans savoir pourquoi. La seule chose que mon matelot m’a dit : « tu as dis à terre que tous les matelots de l’Isole étaient des cons, alors, avec des mots pareils, je te prie de ne plus m’adresser la parole». Les jours passaient et c’était le statu quo… J’étais trop malheureux. J’en parlais au second et lui fis part de ma décision de débarquer à l’arrivée, ce n’était pas de gaîté de cœur, mais quoi faire d’autre ?

En milieu de marée, nous venions de mettre en pêche le matin, nous ne pêchions pas la nuit. Logiquement, après la mise en pêche, le novice apportait le café pour l’équipage au poste avant. C’était moi qui faisais les fonctions de novice. L’équipage m’avait dit qu’ils aimaient mieux le prendre eux même, quand cela leur plaisait. Ce jour là, Emile L., un matelot très sournois, descend dans le poste équipage. Le mousse dormait profondément, on ne l’appelait jamais pour la mise en pêche. Ce matelot prend une fourchette sur la table et la plante dans le bras dénudé du mousse qui a poussé un véritable hurlement. La fourchette est restée figée dans son bras et c’est moi, qui arrivais derrière avec mon café, qui l’a enlevé. Emile l’a engueulé parce que le café n’était pas sur la table. Or, ce n’était pas son travail. Nous voilà partis à nous engueuler violemment tous les deux. Il m’a sorti toutes sortes de méchancetés : je manquai de respect envers l’équipage, je n’arrêtais pas de déconner sur leur compte… En un éclair, j’ai compris que c’était lui qui médisait sur mon compte. Alors, j’ai vu rouge et il a pris en pleine figure mon quart de café bouillant… Avant que quiconque ait pu intervenir j’ai sauté sur la table qui nous séparait et lui ai flanqué quelques coups de sabots de bois à travers la figure en l’accusant de moucharder sur mon compte. Il n’a jamais dit le contraire… C’est un matelot, un bon copain qui m’a pris à bras le corps et m’a traîné sur le pont. Cet homme était un véritable athlète, s’il n’avait pas agi ainsi je me demande ce qui aurait pu arriver. Le patron, ayant entendu l’algarade de sa passerelle, est vite descendu. Je lui ai expliqué pourquoi j’allais débarquer à l’arrivée. Il est descendu dans le poste, et à sa remontée, il m’a dit: « ça va comme ça, ni l’un ni l’autre ne débarquera. Essaie d’être patient. » Ce matelot était un pays du patron et un camarade. Bizarre, mais après cela, ce monsieur qui avant, ne m’appelait jamais autrement que le Réta, s’est mis à m’appeler par mon prénom. L’équipage fit de son mieux pour se faire pardonner. Ce fut une période douloureuse. Je me souviens qu’en voyant son visage, j’étais gêné malgré ma rancœur. Les soins du radio n’avaient pas fait grand-chose : il avait une figure vraiment amochée, on ne lui voyait plus, ni les yeux ni les dents… J’avais un peu pitié, mais je ne regrettais rien. A l’arrivée, une dizaine de jours plus tard, il avait encore les marques.

Une marée, nous tombâmes en panne de niveau. Je ne dirais pas ce que c’était, mais nous avons été obligés de rentrer à Lorient. C’était un samedi, nous avions vingt ans et beaucoup d’insouciance. Le troisième chauffeur qui avait mon âge, sur l’invitation de son père qui était le premier chauffeur, m’emmène chez lui à quelques kilomètres de Quimperlé. Nous avions pris le car et nous sommes arrivés dans ce magnifique petit village. La mère nous avait préparé une magnifique potée de lard au chou avec une motte de beurre énorme. Mais l’ennui, c’est que pendant trois jours chez ces braves gens, nous n’avons mangé que cela : du lard, des choux et du beurre ! Je passais un séjour superbe. C’était la fête aux oiseaux à Quimperlé, dans la forêt de Toulfouêne, danses bretonne, binious, fez noz, cidre à volonté et des filles très agréables… C’était la première fête de cette sorte depuis la fin de la guerre. Au lieu de rentrer le lundi matin comme convenu, nous ne sommes arrivés que le mardi ! Nous étions attendus, mais personne n’a rien dit. J’avais apporté de cette fête une poupée bretonne pour Danièle et L’Isole était habité par de nombreux rats noirs. Je n’en n’ai jamais vu de semblables par la suite. Ils dévoraient tout ce qu’ils trouvaient. Le pain pour le poste avant était entreposé sous le panneau de cale avant, entre les panneaux isolants de la cale et les panneaux de fermeture. Une marée, les rats avaient fait leur nid dans les boules de pain. Tout était abîmé, pour ne pas dire inconsommable… Mais, il n’était pas question de rentrer pour faire un nouveau ravitaillement, alors, nous avons lavé les boules et recuit le pain dans le four de la cuisinière avant. Une autre fois, comme tous les jeunes, au moment du départ, nous n’étions jamais à l’heure précise, pas beaucoup de retard, mais un petit peu, donc pas le temps de passer à la chambre pour mettre des vêtements de travail…Nous nous changions à bord. Cette fois, je portais une belle chemise en popeline, tissu à la mode, qui valait très cher. Je range cette chemise sur mon équipette, au pied de ma couchette. Théoriquement, elle ne risquait absolument rien. Cet endroit était plus sec que mon caisson. C’était sans compter avec les rats ! Un matin, je m’aperçois que ma chemise avait bougé, et, en la remettant à sa place, je me suis aperçu avec horreur que les rats avaient dévoré toute l’épaule gauche ! Je ne l’avais portée qu’un après-midi ! Jamais, à ma connaissance ce bateau ne fut désinfecté.

D’habitude sur ces navires, il y avait un cuisinier qui préparait les repas pour les officiers du poste arrière, comprenant : le patron, le chef mécanicien, le premier chauffeur, le second mécanicien, le radio, le second pont et lui-même.

Pour l’avant, le mousse était chargé d’assurer les repas des six matelots, des trois chauffeurs, du novice et le sien, il devait assurer le remplissage des aiguilles, la propreté du poste équipage, et aider sur le pont à la réparation des chaluts, en un mot, apprendre son métier de marin. Souvent malmené par les matelots, pas toujours respecté, il était considéré par ces vieux matelots comme leur boy. S’il voulait que le chauffeur de service l’aide à faire son plein de charbon, prélevé dans les soutes, il devait l’aider à remonter l’escarbille après le décrassage des foyers. Le mousse était à cette époque l’esclave du bord, les repas devaient être prêts à onze heures précise à la seule fin que le chauffeur qui prenait son service à midi ait le temps de faire une petite digestion. Les matelots, sauf imprévus, mangeaient à onze heures. Le chauffeur qui laissait son service à midi, prenait sa douche et se mettait à table à treize heures et il y avait intérêt à ce que le repas soit chaud et non réchauffé, sinon le mousse entendait parler du pays. Certains de ces hommes étaient très sociables et ne dérangeaient pas le mousse, se servant eux même ou faisant réchauffer leur repas, mais, j’en ai connu d’autres qui se conduisaient en vrais tyrans, martyrisant ces pauvres gosses… Il m’est arrivé plusieurs fois de prendre leur défense.

Toutes les marées, à l’arrivée, le mousse devait présenter sa vaisselle propre sur le panneau de cale avant, ces assiettes et plats étamés devaient briller comme de l’argenterie, astiquée avec de la cendre tirée du poêle à charbon de la cuisine avant. Si la vaisselle n’était pas nickel, le matelot qui passait l’inspection lui faisait refaire entièrement, c’était généralement le plus ancien du bord qui était traditionnellement chargé de cette inspection

Le cuisinier ne venait jamais participer au travail sur le pont. Dès qu’il avait choisi le poisson qui lui était nécessaire pour ses repas, il disparaissait. Il y avait vraiment une énorme différence entre ces deux postes, le mousse était l’esclave et l’autre, le cuisinier,  le petit seigneur. Ces différences de traitement disparurent à partir de 1952, un chef cuisinier assurait les repas pour l’ensemble de l’équipage.

Début août, le lendemain de la vente, nous sommes arrivés pour toucher la paye. Et là,  on nous a annoncé que nous étions débarqués… sans motif valable. Le bateau gagnait bien sa vie mais le Nord Caper (ce navire avait été décoré de la médaille militaire pour fait d’armes pendant la guerre et arborait fièrement cette médaille soudée sur le balcon avant de sa passerelle) venait de partir à Lorient pour être géré dans ce port. L’équipage se trouvait à terre, et, il faut croire qu’ils étaient bien vus de l’armement car on nous a débarqués sans préavis, comme des malpropres ! 

 

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Des chalutiers aux sabliers en passant pas Simca …

A la fin, j’étais un peu désenchanté : il m’arrivait de faire des belles pêches, des 15 tonnes en une marée avec 13 tonnes de merlu… Et le produit de la vente ne suivait pas. Je ne comprenais pas. J’avais l’impression d’être floué par les armateurs. Quand on m’a proposé de travailler chez Simca, j’ai accepté. La paie n’était pas la même, mais j’ai retrouvé une vie de famille et j’y ai pris goût. Quand il a eu des licenciements chez Simca, j’ai acheté un bateau mais ce n’était pas mon truc. J’ai eu la chance d’être recruté par les Sabliers de La Rochelle, l’entreprise de Gérard Gomez. J’ai ainsi participé à la construction du pont de l’île de Ré. Comme j’étais un peu casse-cou,  j’ai eu quelques accidents ! Il m’arrivait de sauter sur le quai avec les amarres dans les bras… on m’appelait le « fada » !

 

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Chalutiers classiques

Depuis l’apparition des pêche-arrière, congélateurs, surgélateurs et autres navires usines, les chalutiers classiques ont totalement disparus des armements de pêches lointaines. Remplacés par des unités modernes à bord desquelles la climatisation est présente partout, on y travaille relativement à l’aise, différence énorme avec les moins 10 ou 15 degrés du pont des classiques. C’est au moment ou le grand métier s’humanisait, que les Terre-neuvas français ont été vendus à des armements en fonction des quotas, des zones de pêches, des 200 miles etc. Le Finlande de l’armement Huret de Bordeaux, est le dernier de ce que d’aucuns appelaient les bagnes flottants. S’ils ont disparus des océans, ils restent présents dans les mémoires de ceux qui ont navigués à leur bord même quand, au-delà des 100 jours de mer et même avant, les caractères s’égrisaient.

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1 - Embarquement

Je suis né à la Rochelle. Mon père, espagnol, chassé par la guerre, est arrivé dans la région à 19 ans. J’ai eu une enfance difficile, ma mère est décédé très tôt et mon père s’est remarié. Ma belle-mère ne nous a pas acceptés. A 14 ans, j’ai décidé de quitter le foyer familial avec mon jeune frère. Nous sommes partis travailler dans les carrières de sable à Angoulins. Les premiers temps, Nous dormions tous les deux dans un « timbre », un abreuvoir en pierre avec une planche dessus pour les isoler. Dès que nous avons pu, nous avons loué une chambre. C’est en me promenant sur les quais, en regardant autour de moi ces bateaux, que l’idée m’est venue d’être marin. J’ai fait le tour des armateurs qui m’ont dit que j’étais trop vieux pour être mousse. J’avais 17 ans. Cabanas m’a proposé un essai en cuisine sur une période d’un mois en me prévenant que si ça n’allait pas, je serais débarqué. Mon frère, lui aussi, sera embarqué comme mousse sur un autre bateau.


Le Cardinal Richelieu
 

Mon premier embarquement, c’était sur le Cardinal Richelieu avec Théo Mercier comme patron. Il faisait beau et je n’ai pas eu le mal de mer, d’ailleurs, je n’ai jamais été malade par la suite.. J’avais appris à me débrouiller en cuisine étant gamin. A cette époque, sur les classiques, les repas, c’était toujours du poisson. Il n’y avait que deux repas avec de la viande : le jeudi et le dimanche. Donc, poisson à tous les repas et à toutes les sauces : frit, bouilli, en salade … J’étais chargé de faire les courses. J’allais chez Brossard, chez Rateau et dans une épicerie qui était en face de l’église st Sauveur. Plus tard, quand les grandes surfaces se sont installées, je me suis fourni là bas. C’était moins cher. Avec le Cardinal Richelieu qui était un petit bateau, on allait pêcher dans le Golfe pas plus loin que la côte des Landes. Je devais aussi travailler sur le pont et j’ai appris avec les autres puisque je n’avais pas été à l’école des mousses.

 

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Un homme à la mer : moi ! Un récit de Michel Ourvouai

Marée du 26 janvier 1969 à bord du Quo Vadis

 

     Nous sommes en pêche au large de l’Espagne à bord d’un chalutier de 32 M composée d’un équipage de 12 hommes. Il fait une furieMichel Ourvouai de temps. La plupart des bateaux rochelais sur le secteur sont à la cape (allure cap au vent marche avant lente). Nous sommes bientôt en fin de marée et nous n’avons pas grand-chose à bord comme poissons. Alors, le patron décide de mettre en pêche quand même ce qui n’est pas sans risque.

Il est 7h30. Nous filons le chalut sans problème mais après une heure de pêche, nous « étalons » (crocher le chalut au fond). Nous sommes obligés de virer le chalut. Les panneaux arrivent, un câble a cassé et nous sommes obligés de virer le chalut sur un  seul côté. La manœuvre terminée, le chalut est en vrac sur le pont. Le patron décide de changer de parage et il met en route vent arrière. Avec le mauvais temps, le bateau roule de tous les bords. Je suis au treuil avec le maître d’équipage pour la manœuvre du chalut. Le panneau de chalut arrière est resté suspendu à la potence et tape.

Naufragé sur un panier

     Il faut que l’on aille le « bosser ». Bernard me dit « Viens, on y va. Nous sommes à la ferme arrière. Nous passons les bosses quand tout à coup, le bateau se couche sur tribord. Je rouspète car j’ai rempli mes bottes. Le bateau ne se redresse pas. Un deuxième rouleau embarque. Bernard qui est derrière moi me dit de me mettre à l’abri et il grimpe sur le rouf arrière. Je n’ai pas le temps de le suivre car un troisième rouleau embarque de nouveau et je me sens partir par-dessus bord. J’attrape les pattes du panneau. Mes mains glissent dessus, mes gants restent accrochés à l’épissure des pattes. Je suis hors du bateau et je bois la tasse et suis emporté au large du bateau. Je refais alors surface plus loin du bateau. Je regarde où il est. Il est assez loin, une cinquantaine de mètres environ. J’entends alors crier « un homme à la mer ». J’ai peur car je réalise que c’est moi. Et là, j’aperçois un panier en osier qui flotte. Je réussis à le rejoindre et je ne le lâche plus. Là je m’aperçois que de l’air reste dans mon ciré grâce à la ceinture que je porte qui maintient ma gaine de couteau. Cela me rassure un peu mais j’ai les bottes pleines d’eau qui m’entraîne le bas du corps vers le fond. Je décide de les quitter ce qui m’est facile à faire car mon père m’avait toujours dit de prendre des bottes plus grandes pour pouvoir les quitter plus vite au cas où je tomberais à l’eau (Dieu merci Papa !).

Sauvé par son chant après 45 minutes à la mer

     Je regarde autour de moi si je vois  le bateau. Je l’aperçois qui fait demi-tour. Il passe bien au large de moi. J’ai du mal à tenir le panier car il y a des creux d’au moins 10 à 12 mètres. Quand je me retrouve dans le creux, je bois la tasse. Je me dis cela est fini quand je suis sur le haut de la vague j’aperçois de nouveau le Quo Vadis. Je sais qu’ils me recherchent. Cela me rassure un peu mais j’ai peur. Je me mets à crier…puis je me mets à chanter « Tonton Cristobal » pour me calmer. Le bateau disparaît encore une fois et là je pense à ma famille et aux copains. Je commence à fatiguer. Cela fait 2 fois que le Quo Vadis passe à côté de moi. Je me dis que c’est fini. Quand tout à coup, j’entends crier. C’est quelqu’un du bord qui est sur la passerelle et qui crie. Je l’entends très bien. Je vois le bateau faire demi-tour. Je chante de plus belle et crie. Je vois le bateau revenir vers moi. Je me retrouve face à l’étrave qui fonce sur moi. Je hurle de peur mais là quand le bateau retombe le ressac m’écarte du Quo Vadis. Je me retrouve à 10 mètres du bateau sous le vent.

Je me dis que je suis reparti pour un tour quand Bernard, le maître d’équipage décide de sauter à l’eau attaché à un bout pour m’attraper ce qu’il réussit à faire. L’équipage me tire à bord grâce au bout que Bernard avait mis à sa taille. Je sens plusieurs mains qui m’attrapent et je suis embarqué à bord …en vrac, mais de nouveau à bord. Je rigole de joie et leur dit merci. L’équipage me descend dans le poste, me déshabille car je suis gelé et me frictionne d’eau de Cologne et me donne un bon coup de rhum. Il est 9h45, j’ai passé environ 45 minutes à l’eau froide. Nous nous mettons à la cape, pas pour longtemps car juste après le patron fait branlebas pour mettre en pêche. Il fait toujours aussi mauvais temps. Je vais à mon poste au treuil mais je ne suis pas moi-même. J’ai la tête ailleurs. Ensuite, nous allons nous reposer. Quelques heures après le branlebas, nous devons aller revirer le chalut. Je sors de ma couchette et là mes nerfs lâchent. J’ai peur d’aller sur le pont. Je tremble et je pleure. Bernard décide que je dois retourner me coucher ce qui me fait du bien. Le lendemain, il fait beau. Le beau temps est revenu et la marée continue. Mon panier en osier ne me quitte plus. Je le mets toujours à côté de moi et je pense qu’aujourd’hui, c’est mon anniversaire, 25 ans et que je reviens de loin.

L'amour de la mer inébranlable

8 jours après, nous sommes rentrés au port. Le lendemain, c’est jour de  paye. J’invite tout l’équipage « Chez Catherine » à boire le champagne. La première bouteille sera ouverte à 9h45 et il en suivra plusieurs et deux jours plus tard, je reprends la mer. Il faut que j’oublie ce mauvais moment. Cela sera assez long mais je naviguerai encore 25 ans avant de prendre ma retraite.

 

Photo : Michel Ourvouai

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Récit

La  paye, c’était chez Rateau.  Par la suite, cela se passait  dans les bureaux  de l’armement. Ils  nous payaient en liquide à ce moment là. Il fallait faire les comptes et nous devions régler notre part  des frais. Quand j’...

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