Pêche

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Campagnes de langoustine sur le Manuel-Joël

J’ai embarqué comme novice sur le Manuel-Joël en 1963. J’avais alors 17 ans et déjà la responsabilité de maître d’équipage -on dit aussi bosco- celui qui était chargé du matériel de pêche et du poisson.

 Sur le Manuel-Joël, chalutier classique à pêche latérale, nous étions 6. il y avait le patron, le chef mécanicien, 2 matelots, le bosco (moi) et un mousse.

 Ce qui m’a le plus marqué sur le Manuel-Joël, ce sont les campagnes de langoustines. On n’en voyait pas le bout ! il fallait larguer la liasse du cul du chalut pour affaler la pochée sur le pont…et comme nous pêchions avec un chalut équipé de bourrelets qui grattait le fond, ce qui tombait sur le pont était un mélange de sable, de vase, de coquillages…et de langoustines. On était toujours à genoux à gratter et à trier. Dès que nous étions arrivés sur les lieux de pêche, il n’était plus question de penser à autre chose : il fallait virer le chalut, larguer la pochée, refiler, trier le parc, laver, glacer et ainsi de suite et cela jour et nuit. Entre chaque coup de chalut – et si nous n’étions pas de quart- on s’allongeait sur notre bannette tout habillé avec les jambes dehors, cuissardes au pied…jusqu’à la prochaine virée. Sans exagérer, il arrivait que nous passions près de 24 heures sans dormir plus longtemps qu’une demie heure d’affilée. Il est même arrivé que nous dépassions les 70 heures avec le déchargement à Douarnenez.

 Nous, les Rochelais, nous étions assez loin des bancs de pêche. Il nous fallait trois jours pour monter et pour commencer à mettre en pêche entre l’Angleterre et l’Irlande. Quand on n’avait plus de glace, on interrompait la marée pour déglacer à Douarnenez.

 On utilisait très peu d’eau. Sur le Manuel-Joël, on n’avait même pas un seau d’eau pour se laver par marée et par homme. Cela paraît peu, mais en fait , moins on en a, moins on en utilise ! C’est comme quand on est à table et que l’on a très peu de pain, à la fin du repas, il en reste toujours car tout le monde s’est rationné ! Quand on arrivait à Douarnenez, on était censé se laver car on avait déjà fait une marée.

En fait, on débarquait notre poisson et on repartait vite dès que le gazole était fait et que l’on avait embarqué nos vivres et la glace. .. Et on ne s'était toujours pas lavé !

 Plus on est fatigué moins on a envie de se laver… A la fin de la deuxième marée, on redescendait à la Rochelle et là on avait nos 10 litres d’eau et on se lavait dans le poste comme on pouvait. Il faut savoir aussi que se laver n’était pas le premier souci d’un marin : en mer on n’a pas la même crasse qu’à terre. Ca va sûrement en faire rire certains, mais c’est vrai, il n’y a pas de poussière. On vivait confiné dans l’odeur du poisson mais on ne s’en apercevait pas. On s’aspergeait d’eau de Cologne ! D’ailleurs, dans la panière du marin, il y avait toujours une bouteille d’eau de cologne, ça aidait bien !

 Nous vivions dans l’humidité permanente : le sel qui se déposait sur nos vareuses les empêchait de sécher complètement et les rendait rigides et inconfortables. Nous étions irrités par le frottement des manches aux avants bras.

 Nous n’avions pas de gants et nos mains étaient calleuses. Nous avions des fissures profondes aux jointures des doigts occasionnées par le travail à embarquer le filet sur le bord du pont. C’était très douloureux surtout quand il fallait reprendre le travail après un moment de repos. Au bout de quelques minutes, avec l’activité et l’humidité, c’était reparti, on n’y pensait plus !

 Par pudeur, on en parle rarement, mais pour faire nos besoins par mauvais temps, ce n’était pas toujours triste ! Imaginez, nous étions assis, les fesses à l’air le long de la lisse tenant fermement potences ou funes, juste avant le chien, de préférence sous le vent…

Tonnage de langoustines

Cela dépendait des marées. Mais il faut savoir que les langoustines, ça prend du volume. Un panier de langoustines plein à ras bord - je parle des paniers en osier de l’époque- cela faisait seulement 20 à 25 kg contre 30 à 35 Kg pour un panier de merluchons. On rentrait souvent avec 2 à 3 tonnes de langoustines et avec du divers, c’est à dire tout ce que l’on peut trouver dans le canal de St Georges ou en montant dans le nord : merlans, poissons plats, raies, chiens de mer, touilles, roussettes...

 

Zones de pêche

Pour les langoustines, c’était surtout le canal St Georges. Quand la langoustine se faisait rare, nous allions pêcher la sole dans la baie de Liverpool et jusque dans le sud de l’île de Man.

 

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Mon embarquement sur le Charles-Letzer

Un récit de Lucien Joubert

9 avril 1952/ 22 Juin 1952

 Sur le Charles-Letzer, j’ai retrouvé le patron qui commandait le Guyenne. J’avais embarqué sur le Guyenne comme cuisinier…inexpérimenté ! Il faut croire qu’il ne m’en avait pas trop voulu de ces repas de diète que j’avais pu leur servir à l’époque ! Le second, Paul Rivière était aussi sur le Guyenne avec ses deux fils. J’étais le plus jeune matelot du bord : je n’avais pas vingt-cinq ans, la pêche allait bien, l’ambiance était bonne. Ce chalutier d’avant-guerre était très bon à la mer. Il avait une coque en acier, un moteur belge de 300 CV dont j’ai oublié la marque. Les soupapes à chapelle faisaient 80 kgs chacune, les culasses, 400 kgs, l’embrayage était à la main et à balancier. Il y avait un étage pour être à la hauteur des culasses afin de graisser les culbuteurs… C’était de la bonne mécanique tournant à 300 t/m, faite pour durer. Nous y avons gagné correctement notre vie.

J’ai souvenir d’une aventure à bord de ce navire : le cuisinier, Jean le Basque, je ne suis jamais son vrai nom, se plaignait depuis plusieurs jours d’une immense fatigue. Il avait de grandes difficultés à assurer les repas et  était très vite fatigué. N’ayant aucune connaissance médicale, le second le soignait avec des cachets d’aspirine, sans grands effets …Une fois, par erreur, il lui a donné des cachets de chlore… Heureusement qu’il n’a pas avalé d’un trait cette mixture ! On peut en rire, mais, à bord, à l’époque, aucune notion de soins n’était donnée aux futurs patrons. Le patron a proposé de le rapatrier, mais le cuisinier a refusé. Malgré tout, inquiet, le patron a décidé d’abréger la marée de quelques heures et a fait route sur La Rochelle. Le cuisinier était de plus en plus mal, il ne pouvait plus se lever, mais ne souffrait pas… Les liaisons radio pour une consultation médicale n’existaient pas encore. En passant Ouessant, le patron décide de déposer cet homme à l’hôpital de Brest…C’était grand temps : il souffrait d’une péritonite aigue ! Le chirurgien qui l’avait opéré en urgence l’avait recousu comme si Jean ne devait pas en sortir vivant. C’était sans compter sur la terrible envie de vivre de cette homme : il s’en tira, et, revenu à la vie, il continua jusqu’à sa retraite ce métier de marin !

 

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La maison de Théo (Théo Calloch)

Théo, lui, ne dormait pas.

On doublait Chassiron.

Le bosco me montra la pointe de l’île et se confia. « Mon père a fait naufrage ici en 1925 avec le voilier « Sibel ». Il n’y a pas eu de survivant et le gardien du phare qui avait tout vu et qui n’avait rien pu faire est devenu fou. 

Mais les deux grands-pères sont aussi morts en mer. Ma mère faisait des travaux de couture à Groix. Nous étions trois enfants et elle devait toucher quelque chose comme 50 francs par an. Alors à 8 ans, j’ai fait cinq marchés qui nous ont rapporté 100 francs. A 9 ans, on m’a pris comme mousse. Je faisais la cuisine mais je ne pouvais pas porter la marmite tout seul. J’allais à l’école l’hiver et je m’embarquais l’été. C’était dur en ce temps là, vous savez. Les bateaux étaient sales et inconfortables. On n’avait même pas 24 heures de repos à terre entre deux marées. Comme je ne pouvais pas aller à Groix, ma mère me mettait un panier de linge propre dans un café de Lorient. Et puis, je n’ai pas arrêté de naviguer. On ne peut tout de même pas trop se plaindre. J’ai fait construire ma maison. Il faudra venir me voir. »

Plus tard, je suis allé voir Théo, chez lui, à Mireuil entre la Rochelle et la Pallice.

Dans la salle à manger meublée d’acajou, ouvrant ses fenêtres sur le jardin potager et les fleurs, j’au bu un verre de vin blanc sucré. Théo traversait la pièce avec des patins aux pieds pour me montrer les photos de ses enfants. Ce n’était plus le mousse des voiliers de Groix, ni le bosco barbu du Chantaco, mais un père de famille assez fier de la maison qu’il a offert aux siens et dans laquelle, lui, ne fait que passer. « Ça y est, on vire. Vous arrivez ? »

 

On est revenu me réveiller. Il me semblait bien depuis peu que le moteur ne tournait plus  de la même façon. Le chalutier qui roule davantage encore bord sur bord résonne de bruits étranges. C’est le premier coup de chalut. Et je ne peux manquer ça.

Voilà ce que racontait ce troisième homme, Michel Guillet à bord du Chantaco. Mon père quittant Lorient pour venir naviguer à la rochelle avec le patron Marrec, dont la femme tenait le restaurant « le Gripp » à Groix. Il fit plusieurs marées à bord du « Chantaco ». Ce fut son premier chalutier sur la Rochelle, il en fera 10 en tout.

Michel Guillet partit une marée avec mon père et tout l’équipage pour nous raconter la vie en mer, un précieux témoignage 48 ans après !

Tel un hommage à tous ces marins …

                                                                                              Christophe Cordonner

                                                                                          (fils de Eugène Cordonner)

 

 

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Christian Contant, marin pêcheur à La Rochelle

Un texte de Yves Gaubert

Christian Contant issu d’une famille de marins pêcheurs est né à Uzeste mais a passé sa carrière de marin à La Rochelle. Il a terminé comme lieutenant de pêche puis a travaillé à l’agence Delmas à La Pallice.

 « J’ai été baptisé à l’église avec une queue de morue, c’est pour ça que j’ai toujours soif. Mon père naviguait aux Messageries maritimes. Mon oncle est tonton Charleston. Il était sur les chalutiers, c’est le frère de ma mère. J’ai même navigué avec mon grand-père, il avait 70 ans.

J’ai fait l’EAM en 67. Mon premier bateau a été L’Equipe avec Julien Guillas. J’avais 15 ans. J’avais déjà été en mer avec mon oncle largement avant sur le Chassiron avec Jos Kamenen. La première marée, j’ai été malade comme un chien. C’était un J 3 de l’armement Horassius, qui était installé dans le même bureau que Monsieur Auger. Le capitaine d’armement ,c’était un monsieur qui boitait, La Patte. Après je suis allé à Terre Neuve avec un armement de Bordeaux, Huré. Je suis resté 3 ans là-bas. J’aurais du partir directement à Terre Neuve parce que les armements bordelais recrutaient dès le mois de mai à l’EAM.

Je suis revenu à La Rochelle et j’ai embarqué sur le Clapotis (Horassius), puis chez Frédérique, j’ai fait le Roussillon, le Bigorre, le Touraine.

En 73, j’ai passé mon lieutenant de pêche puis je suis parti à l’armé en 74. A mon retour, Frédérique était parti avec la caisse, je suis allé chez un armement de Concarneau qui avait repris les bateaux, sur le Terequi. C’était des J 3, ils faisaient dans les 34 mètres. J’ai eu des embarquements de matelot puis de lieutenant. J’ai fait le Saint Blaise, le Koros, le Yves du Manoir

J’ai été mécanicien sur l’Antioche 4. J’ai terminé en 1980 à bord du Fomalhaut chez Auger. On s’est révolté à bord, plus personne ne voulait monter sur le pont. Je suis monté à la passerelle, je l’ai dit à Yves Joncour. Il y avait que des ivrognes à bord, il fallait travailler toute la nuit dans la casse à Bishop. Il a piqué une crise : on rentre à La Rochelle. On gagnait plus un rond sur ces bateaux, on était 12 bonshommes à bord.

J’avais été à l’agence de l’emploi pour faire un stage. J’ai débarqué fin juillet, ma fille est né le 6 août 1980. Pour moi la pêche c’était fini, J’avais trois enfants, J’avais fait les petits bateaux mais ça ne me plaisait pas. J’ai eu les jetons à attraper des espèces de branlées ! Les pêche arrière ça n’existait pas encore à la pêche artisanale. Le premier a été le Lui,

J’ai fait un stage de soudeur de 8 mois, J’ai fait des essais deux mois au chantier naval puis chez Delmas. Chez eux, j’ai été embauché tout de suite. J’ai fait 30 ans chez Delmas en tant que personnel sédentaire à La Pallice. Je faisais tout le matériel, les élingues pour décharger les bois, comme gréeur.

On est passé chez SDV en 2008. Je suis parti avec la carotte. Je suis au chômage, mais à la retraite bientôt.

Depuis l’abolition du port autonome, Cogemar aurait dû fusionner avec Fast. Il y avait un doublon entre les deux. A Cogemar on est 40 et chez Fast ils sont 25. On est une dizaine de plus de 58 ans à être parti, en 2010.

Mon plus mauvais souvenir à la pêche, c’est quand on a failli se perdre à bord du Bigorre en 72 dans la tempête, la nuit du 12 au 13 février. Le soir en mettant en pêche, ça fraîchissait, mais le patron a dit : « colle dehors ».

Vers minuit il avait beau mettre de la barre à contre le bateau ne répondait pas, Il est parti en travers, les funes sous la coque. On a viré et quand le chalut est arrivé, il s’est pris dans l’hélice. Quand ça a bloqué, le réducteur a cramé, ça a fait de la fumée, le moteur s’est arrêté. On a eu chaud. On s’est ramassé deux ou trois pions et on s‘est retrouvé à 45° de gîte. On a commencé à sortir le Bombard, mais le bateau s’est redressé.

C’était la furie, on était au large dans le golfe. On n’avait plus de lumière, plus de moteur, le train de pêche servait d’ancre flottante. Le lendemain matin, il faisait beau. Le Touraine est venu nous remorquer. On s’est mis sur le grill dans le vieux port. A marée basse les funes et le chalut étaient dans la vase à partir des deux tours. Ils ont fait venir une grue pour tout sortir. Il y avait un attroupement sur le port et devant le Rupella.

J’étais matelot sur ce bateau-là. Il paraît qu’ils m’avaient attaché. J’étais au treuil, ils avaient peur que je tombe à l’eau. Le chien montait et descendait impossible de le larguer…

Je vais toujours en mer deux fois par semaine avec mes cousins sur un chalutier de 13 mètres. »

 

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Le Manuel-Joël sauve l’équipage du Galatée

Interview « Alors, Raconte 2004 »

Le 8 décembre 1973, le Galatée, un chalutier des Sables d’Olonne, armé à la Rochelle signale par vacation qu’il est en train de couler. Par l’intermédiaire de Radio Arcachon, on a appelé le relais. Il ne faisait pas beau avec une grosse houle d’ouest. Quand on est arrivé sur lui, l’eau avait atteint le niveau du moteur qui s’était arrêté. On a installé un va et vient et avec notre canot de sauvetage, on s’est mis à couple pour que les quatre hommes du bord embarquent sans trop de difficulté.

Intervention de Joël Chauvet : « j’étais à bord de ce bateau et ces souvenirs restent vivants même de nombreuses années après. Le sauvetage s’est effectué dans de bonnes conditions malgré le mauvais temps. Il était temps : j’avais de l’eau jusqu’à mi-cuisses. En montant à bord du Manuel-Joël, ils ont cru qu’il y avait un noir à bord ! Le noir, c’était moi ! J’avais des projections de gasoil de partout. Je suis arrivé dans un état lamentable à bord…mais vivant et bien content de trouver le Manuel-Joël ! ». C’est un bon souvenir parce qu’on les a sauvés, bien sûr, il manquait un bateau mais il y avait quand même quatre bonhommes de sauvés. A notre époque, il y aurait eu des grands articles … mais, à cette époque là, il y a eu années juste un petit entrefilet !

 

 

 

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Récit

Sur ces chalutiers, on ne faisait pas le pain. Le pain était embarqué pour quinze jours, c’était du gros pain, du pain spécial quand même, du pain du marin. Je ne sais pas comment ils faisaient, mais on arrivait à avoir du bon pain. On le mettait dans la cale...

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