Fiche du navire
Quo Vadis
Un homme à la mer : moi ! Un récit de Michel Ourvouai
Marée du 26 janvier 1969 à bord du Quo Vadis
Nous sommes en pêche au large de l’Espagne à bord d’un chalutier de 32 M composée d’un équipage de 12 hommes. Il fait une furie de temps. La plupart des bateaux rochelais sur le secteur sont à la cape (allure cap au vent marche avant lente). Nous sommes bientôt en fin de marée et nous n’avons pas grand-chose à bord comme poissons. Alors, le patron décide de mettre en pêche quand même ce qui n’est pas sans risque.
Il est 7h30. Nous filons le chalut sans problème mais après une heure de pêche, nous « étalons » (crocher le chalut au fond). Nous sommes obligés de virer le chalut. Les panneaux arrivent, un câble a cassé et nous sommes obligés de virer le chalut sur un seul côté. La manœuvre terminée, le chalut est en vrac sur le pont. Le patron décide de changer de parage et il met en route vent arrière. Avec le mauvais temps, le bateau roule de tous les bords. Je suis au treuil avec le maître d’équipage pour la manœuvre du chalut. Le panneau de chalut arrière est resté suspendu à la potence et tape.
Naufragé sur un panier
Il faut que l’on aille le « bosser ». Bernard me dit « Viens, on y va. Nous sommes à la ferme arrière. Nous passons les bosses quand tout à coup, le bateau se couche sur tribord. Je rouspète car j’ai rempli mes bottes. Le bateau ne se redresse pas. Un deuxième rouleau embarque. Bernard qui est derrière moi me dit de me mettre à l’abri et il grimpe sur le rouf arrière. Je n’ai pas le temps de le suivre car un troisième rouleau embarque de nouveau et je me sens partir par-dessus bord. J’attrape les pattes du panneau. Mes mains glissent dessus, mes gants restent accrochés à l’épissure des pattes. Je suis hors du bateau et je bois la tasse et suis emporté au large du bateau. Je refais alors surface plus loin du bateau. Je regarde où il est. Il est assez loin, une cinquantaine de mètres environ. J’entends alors crier « un homme à la mer ». J’ai peur car je réalise que c’est moi. Et là, j’aperçois un panier en osier qui flotte. Je réussis à le rejoindre et je ne le lâche plus. Là je m’aperçois que de l’air reste dans mon ciré grâce à la ceinture que je porte qui maintient ma gaine de couteau. Cela me rassure un peu mais j’ai les bottes pleines d’eau qui m’entraîne le bas du corps vers le fond. Je décide de les quitter ce qui m’est facile à faire car mon père m’avait toujours dit de prendre des bottes plus grandes pour pouvoir les quitter plus vite au cas où je tomberais à l’eau (Dieu merci Papa !).
Sauvé par son chant après 45 minutes à la mer
Je regarde autour de moi si je vois le bateau. Je l’aperçois qui fait demi-tour. Il passe bien au large de moi. J’ai du mal à tenir le panier car il y a des creux d’au moins 10 à 12 mètres. Quand je me retrouve dans le creux, je bois la tasse. Je me dis cela est fini quand je suis sur le haut de la vague j’aperçois de nouveau le Quo Vadis. Je sais qu’ils me recherchent. Cela me rassure un peu mais j’ai peur. Je me mets à crier…puis je me mets à chanter « Tonton Cristobal » pour me calmer. Le bateau disparaît encore une fois et là je pense à ma famille et aux copains. Je commence à fatiguer. Cela fait 2 fois que le Quo Vadis passe à côté de moi. Je me dis que c’est fini. Quand tout à coup, j’entends crier. C’est quelqu’un du bord qui est sur la passerelle et qui crie. Je l’entends très bien. Je vois le bateau faire demi-tour. Je chante de plus belle et crie. Je vois le bateau revenir vers moi. Je me retrouve face à l’étrave qui fonce sur moi. Je hurle de peur mais là quand le bateau retombe le ressac m’écarte du Quo Vadis. Je me retrouve à 10 mètres du bateau sous le vent.
Je me dis que je suis reparti pour un tour quand Bernard, le maître d’équipage décide de sauter à l’eau attaché à un bout pour m’attraper ce qu’il réussit à faire. L’équipage me tire à bord grâce au bout que Bernard avait mis à sa taille. Je sens plusieurs mains qui m’attrapent et je suis embarqué à bord …en vrac, mais de nouveau à bord. Je rigole de joie et leur dit merci. L’équipage me descend dans le poste, me déshabille car je suis gelé et me frictionne d’eau de Cologne et me donne un bon coup de rhum. Il est 9h45, j’ai passé environ 45 minutes à l’eau froide. Nous nous mettons à la cape, pas pour longtemps car juste après le patron fait branlebas pour mettre en pêche. Il fait toujours aussi mauvais temps. Je vais à mon poste au treuil mais je ne suis pas moi-même. J’ai la tête ailleurs. Ensuite, nous allons nous reposer. Quelques heures après le branlebas, nous devons aller revirer le chalut. Je sors de ma couchette et là mes nerfs lâchent. J’ai peur d’aller sur le pont. Je tremble et je pleure. Bernard décide que je dois retourner me coucher ce qui me fait du bien. Le lendemain, il fait beau. Le beau temps est revenu et la marée continue. Mon panier en osier ne me quitte plus. Je le mets toujours à côté de moi et je pense qu’aujourd’hui, c’est mon anniversaire, 25 ans et que je reviens de loin.
L'amour de la mer inébranlable
8 jours après, nous sommes rentrés au port. Le lendemain, c’est jour de paye. J’invite tout l’équipage « Chez Catherine » à boire le champagne. La première bouteille sera ouverte à 9h45 et il en suivra plusieurs et deux jours plus tard, je reprends la mer. Il faut que j’oublie ce mauvais moment. Cela sera assez long mais je naviguerai encore 25 ans avant de prendre ma retraite.
Photo : Michel Ourvouai