Fiche du navire
Isbé
L’Isbé a été construit aux Pays-Bas en 1959 pour l’armement Lebon-Toublanc. C’était un chalutier classique de 37,50 mètres, de l’avis de tous, un très bateau avec de belles lignes. Sa coque était verte, le château beige. Cédé avec le Giralda à l'armement Lambert d'Etel, il a terminé sa carrière en Grèce en 1977.
Un noël en mer en 1969 sur l'Isbé
Un récit d’Alexandre Le Goff
Merci à l’association Autrefois Etel & sa région/Musée des Thoniers, Etel (Morbihan).
Plus de vingt Noël en mer ! Je me souviens particulièrement de ce Noël 1969. J’étais patron à bord de l’Isbé. Nous chalutions, par gros temps, dans les parages du Cap Lewis, point nord des Iles Hébrides (Archipel à l’ouest de l’Ecosse). Accident à bord : une marmite d’eau bouillante se renverse et brûle gravement le cuisinier au bras droit. Je lui administre les premiers soins et après les manœuvres de remontée du filet, nous faisons route sur le port le plus proche, c’est-à-dire Stornoway, dans l’Ile Lewis. A l’hôpital, nous ne trouvons qu’un jeune infirmier de service. Il faut savoir que ce n’était qu’un petit hôpital. Notre blessé ne veut pas y rester. Nous nous rendons alors chez un médecin qui l’examine et lui donne un traitement pour les quelques jours de mer qu’il nous reste… Notre cuisinier est dans l’incapacité de travailler ! Deux matelots acceptent de le remplacer.
17 heures. Nous sortons du port. Le temps est mauvais, je préviens les hommes que l’on change de parages. Nous allons passer la nuit de Noël en route, à l’abri des îles, cap au sud. Aussitôt les commentaires vont bon train : « Eh bien ! Ce soir, ce ne sera pas comme l’année dernière, toute la nuit de Noël à passer l’aiguille du chalut à poil sur le pont ». Un des matelots qui, l’année passée, se trouvait sur un autre bateau, raconte : « Nous avions fait une palanquée de chiens, au moins 300 potes… (paniers de 40 kg). Le temps de les embarquer, de les ramasser, nous avions passé la nuit à la S.P.A. (Société Protectrice des Animaux). Au prix où ils étaient à cette époque, ça ne valait pas le coup ! ». Les rires fusent, les anecdotes se multiplient, et l’on entend : « Dans le temps, les bateaux stoppaient la nuit de Noël ; ils mettaient à la chôle (en travers, moteur stoppé, moteur auxiliaire en route pour avoir de l’électricité) et les marins chantaient ; les temps ont changé. Maintenant il n’est question que de rentabilité… ». J’arrête tout net ces propos : « Dites, les gars, ce n’est pas encore Noël ! Le travail reste à faire, le chalut est à visiter et demain matin on remet en pêche ». Sur ces fermes paroles, les hommes se remettent à l’ouvrage.
19 heures. Le travail est fini. Le matelot de quart, en prenant la relève, me dit : « Regarde dans la coursive, le menu de ce soir est affiché ; ils se décarcassent les copains ! ».Effectivement, un papier décoré orne exceptionnellement la porte de la cuisine. Au menu :Huîtres, pinces de crabe mayonnaise, ballottine de volaille, dinde aux marrons et Surprise du chef – Vin blanc, vin rouge et Champagne offert par l’avitailleur . Les hommes ont le sourire ! Ca fait plaisir à voir…
21 heures. On passe à table ! Comme nous sommes en route, les hommes de quart font une veille attentive ! La descente du « Minch » (passage entre les Hébrides et l’Ecosse) est toujours une route dangereuse. Le repas restera mémorable : les cuisiniers improvisés se sont surpassés. A cette époque, le travail du marin-pêcheur commençait par un apprentissage de mousse dont l’emploi du temps consistait, à 70%, à préparer les repas de l’équipage, ce qui revient à dire que rares sont les marins qui ne savent pas faire la cuisine…Et voici que la surprise des chefs arrive sur la table : une bûche de Noël confectionnée avec les instruments du bord, crème au beurre tartinée au couteau sur le dessus, mais cela ne fait rien, elle est applaudie et saluée par des chants tandis que coule le Champagne…Relevé de quart ! Le matelot nous annonce que les chansons on commencé sur la fréquence pêche : Il est de coutume, le soir de Noël, que les bateaux de différents ports choisissent leur fréquence et que les marins se fassent plaisir en poussant la chansonnette. La passerelle n’est pas assez grande pour contenir tout l’équipage qui essaie de reconnaître les chanteurs des autres bateaux. A minuit, c’est le cantique traditionnel : « Il est né à minuit le Petit ». Nous chantons jusque tard dans la nuit…
Vers 9 heures du matin, nous arrivons dans les parages du Sud des îles Hébrides. Le temps est beau, je décide de mettre en pêche. Le branle-bas est plutôt pénible : trois hommes ne peuvent se lever (enfin, une fois n’est pas coutume !). Le chalut est quand même mis à l’eau. Quatre heures plus tard, au moment de virer, tous les gars sont présents. Les rigolades et les anecdotes de la veille agrémentent à nouveau le travail… récompensé par un beau coup de filet. Pour beaucoup, ce fut leur meilleur Noël en mer depuis leur jeune âge. Pour moi aussi. Mais il y avait eu ce fâcheux accident.
3 jours plus tard, nous rentrons sur Lorient la tête pleine de souvenirs. Aujourd’hui, au gré de nos rencontres, nous parlons encore de ce fameux Noël. Mais rien, jamais, ne remplacera un Noël en famille…