Fiche du témoin
Louis-Joseph Coat
Rapport de mer établi par Joseph Coat, père de Louis-Joseph, suite à la disparition du patron de la Joselle, le 16 novembre 1933
Monsieur l’Administrateur en Chef de l’Inscription Maritime de La Rochelle
Monsieur l’Administrateur,
Je soussigné Coat Joseph Marie Ollivier, second à bord du chalutier à vapeur « Joselle » du port de La Rochelle armé par quinze hommes d’équipage, déclare ce qui suit sur la disparition du patron du bord, Le Bloch Georges Joachim né le trois avril mille huit cent quatre vingt seize à La Rochelle, Charente-Inférieure, inscrit à La Rochelle n° mille deux cent vingt trois, breveté patron au bornage du vingt quatre mai mille neuf cent vingt deux, domicilié à La Rochelle rue du Paradis n° huit, marié et père d’un enfant de dix ans.
Appareillés du port de La Pallice le seize novembre mille neuf cent trente trois à quinze heure, faisions route vers les côtes d’Espagne, cap au WqSW du compas. Forte brise d’ENE, mer houleuse, vitesse 10 nds (dix nœuds) ; filé le loch à la bouée de « Chauveau » pris comme point de départ. La nuit, feux de route clairs, services de quart assurés se passa sans incident.
Dans la matinée du dix sept novembre mille neuf cent trente trois, à dix heures quarante cinq, le matelot-cuisinier « Rolland » vint me prévenir au magasin à filets de venir déjeuner. Je me rendis au poste arrière et me mis à table. Le radio télégraphiste et le 1er chauffeur s’y trouvaient déjà ; nous n’attendions plus que le patron. Comme il tardait à venir, je demandais au matelot-cuisinier s’il l’avait prévenu, en même temps que vous me répondit –il.
Tout à coup j’entendis des cris sur le pont : « Stop, stop, en arrière toute ». Précipitamment je montai sur le pont et demandai aux hommes présents, les chauffeurs « Drévo et Robert », quelle était la cause de cette brusque manœuvre.
Le patron est tombé à l’eau me dirent ils. Un de matelot de quart, « Guimar » avait déjà lancé la bouée-couronne à la mer. Aussitôt je fis disposer l’embarcation parée à être amenée. La machine étant toujours en arrière toute, le navire évita sur la droite d’environ soixante degrés, je fis mettre la barre à droite toute et lancer la machine en avant toute. Par ce brusque mouvement de giration, le navire eut vite le cap sur le patron que l’on distinguait par moments sur la crête des lames. Ayant fait dresser la barre lorsque le navire fut dans sa direction, je demandai aux hommes postés sur le gaillard, dans la mâture et au dessus de la passerelle, s’ils le voyaient toujours. Non, me répondirent-ils, on ne voit plus rien. J’estime qu’à ce moment le navire pouvait se trouver à environ une centaine de mètres du patron. Je fis alors stopper la machine tout en maintenant le même cap, Est au compas. Dès que le navire eût perdu de son erre, je fis mettre le canot à la mer, armé par deux hommes, les matelots, Douaran et Morillon, munis de leurs ceintures de sauvetage, et les chargeai d’explorer les lieux de l’accident. Moi-même avec le navire, j’utilisai la manœuvre dite « Deboutakoff » pour effectuer des recherches. A un moment donné je vis l’embarcation en difficulté avec la mer ; je fis route (…) le patron ayant disparu sous les flots. Malheureusement tous mes efforts furent inutiles le patron avait disparu dans les flots. Au moment de l’accident le navire se trouvait par Latitude : quarante-quatre degrés cinquante minutes Nord, Longitude : quatre degrés cinquante trois minutes Ouest Greenwich et il était onze heures. Il n’y avait aucun navire ni aucune terre en vue.
Ayant perdu tout espoir de sauver le patron, je fis prévenir télégraphiquement l’armateur, Monsieur « F.Y Castaing » de l’accident qui venait de se produire et fis mettre le navire à la cape en avant doucement debout à la lame en attendant les ordres. A quinze heures, ayant reçu des ordres par le chalutier « Marie-Gilberte », l’armateur me priant de prendre le commandement du navire, je fis route vers les côtes françaises, cap à l’EqNE du compas, avec le douloureux regret de n’avoir pu sauver mon meilleur camarade.
En cours de route, je questionnai les hommes qui l’avaient vu tomber à la mer, ainsi que les hommes qui étaient de quart à ce moment. Les hommes de quart, « Morillon et Guimar », me dirent que le patron quitta la passerelle sur l’appel du matelot cuisinier pour aller déjeuner, et dans son attitude rien ne faisait prévoir le drame qui allait se produire. Les chauffeurs « Drévo et Robert », qui se trouvaient à table dans le poste d’équipage, virent le patron descendre de la passerelle par tribord, trébucher sur le pont d’un coup de roulis qui l’envoya toucher la lisse par le côté gauche, face à l’arrière ; un autre coup de roulis plus violent le fit décapeler par-dessus la lisse et tomber à la mer. Ce furent ces deux hommes qui (…) sur l’arrière faire stopper la machine et (…) en arrière toute.
A mon avis le patron a du se blesser au côté gauche en touchant la lisse au premier coup de roulis, s’est penché sur le coté où il a eu mal et n’a pu se dégager à temps de la coursive, avant que le deuxième coup de roulis ne soit venu le surprendre ; un homme à la mer, blessé, malgré qu’il soit de forte corpulence comme il l’était, ne peut résister longtemps, surtout lorsque le mer est grosse ; avec cela il savait à peine nager et je puis affirmer qu’il n’a pu se maintenir à la surface des eaux qu’environ quatre minutes ; sanguin de nature, je présume également qu’il fût frappé de congestion. Il n’a donc pu échapper à la mort.
En foi de quoi j’ai rédigé le présent rapport en double expédition, que je certifie sincère et véritable me réservant de l’amplifier si besoin est.
Le second faisant fonctions de patron.
Ont signé après moi les premiers témoins oculaires de l’accident
Fait à La Rochelle, le (…) décembre mil le neuf cent trente trois.