Fiche du navire
Picorre
En 1948, la pêche hauturière se réorganise à La Rochelle. Le Picorre rejoint l’armement Castaing avec le Harle et le Héron en dommages de guerre. Le 28 Janvier 1951, Il réalisera un acte de bravoure en se portant au secours d’un navire anglais, le Castel-Dore, un cargo à moteur dont il réussira à sauver tout l’équipage.
Témoins
Armements
Le Picorre sauve l’équipage du Castle-Dore, 28 janvier 1951
Rapport de Charles Le Sellin, radio du Picorre
En pleine tourmente le chalutier Picorre arrache à la mort les 38 hommes du Victory Castle-Dore.
28 janvier, 07h 00 – Golfe de Gascogne - au large des côtes espagnoles
La tempête fait rage, la mer est déchainée et depuis hier soir nous tenons notre navire en cape. A l’écoute 600 m, j’intercepte la répétition du S.O.S. de 6 h 45 du G.C.T.N Castle-Dore, en difficulté dans le 080 degrés Est C 6mls.
J’appelle plusieurs fois ce navire entre ses communications avec le Saxon Star mais il ne répond pas à mes appels. Devant ce mutisme, je prends son gisement goniométrique, qui donne au compas 195° et nous décidons, malgré tout, de faire route sur ce navire au 195°, il est 07 h 25. Peu après, nous passons le Saxon Star qui fait également route sur le Castle-Dore. La mer est démontée, du N.N.W et, à plusieurs reprises, force nous est de stopper pour laisser dégager notre navire des trombes d’eau qui s’abattent sur le pont, parfois à hauteur de passerelle. La côte embrumée nous en parait proche. Le Saxon Star stoppé loin derrière nous, ne tentera pas l’aventure si près de la côte. Le Castle-Dore est en vue devant nous et nous en approchons. Il est à lège, mouillé sur deux ancres, debout à la mer et n’a plus d’hélice.
Je l’appelle encore et lui passe d’un mauvais anglais à 09h35 :
- “Wan to you trawler French Picorre”
Il répond et je ne comprends pas bien, je lui dis :
- « Please speack (sic) french »
Réponse à 09h45 :
- « Commandant Picorre, voulez-vous attendre nous, s’il vous plait, le remorque arrive à midi - Captain.»
Nos services sont refusés, mais accédons à son désir de rester près de lui, debout à la mer.
A 09h58, le Castle-Dore vient subitement en travers à la mer. Il a une chaîne cassée, la deuxième ancre ne tient pas, le navire chasse vers la côte. Il nous alerte par coups de sifflet. Je transmets encore :
- « Voulez-vous remorque Picorre ? » Pas de réponse et il transmet le message d’abandon qui prend fin à 10h10.
A 10h15, il fait encore des signaux pour relèvement et puis, c’est le silence. C’est l’abandon du navire, qui poussé par les éléments en furie, dérive vers la côte proche. Il est trop tard pour tenter de sauver le navire et nous allons tenter d’arracher à la mort l’équipage, devant les brisants de la côte toute proche.
A la demande de mon capitaine, je vais à la passerelle pour veiller, aider à la manœuvre. Elle sera dangereuse, nous risquons notre navire et nous-mêmes, pour ces malheureux que nous voyons descendre dans les embarcations, parfois suspendus dans le vide ou plaqués contre la coque. Nos hommes, sur le pont, pataugent dans l’eau qui le recouvre. Tous les moyens sont prêts, filins bouées, boules à chalut, même les gaffes. Le sauvetage sera difficile, la mer est en furie et en tous sens par le renvoi de la côte. Lentement, nous venons sous le vent du navire, entre lui et la terre, pour prendre les embarcations dans son abri. Mais à ce moment, notre navire est brusquement aspiré, happé dans son remous et nous voyons cette masse de 7.000 tonneaux, poussée par une formidable vague, foncer et se coucher dangereusement au-dessus de notre navire, les structures hautes nous apparaissent nettement au-dessus de nous. Le moment est terrifiant et nos hommes courent vers l’avant en poussant des cris d’effroi. Est-ce l’écrasement ? Non, en route toute, nous nous dégageons de l’emprise du navire, dans un déferlement de trombes d’eau, d’huile de mazout que le navire filait, qui engluent partout notre navire, et aussi le fracas assourdissant des vagues à la côte où elles atteignent des hauteurs fantastiques. Tout cela, mêlé au sifflement de l’ouragan, est d’un lugubre sans pareil.
Cette manœuvre nous a dangereusement rapproché de la côte et dans l’embardée, notre arrière en fouettant, faillit écraser une embarcation, c’eut été désastreux. Ce danger a suscité beaucoup d’émotions et sincèrement, je l’avoue, c’était effrayant !
Nous manœuvrons à nouveau, et nous nous plaçons, cette fois, à l’arrière du cargo, dans son axe. Il faut constamment battre en arrière pour ne pas être projeté sur lui. Les embarcations tardent, nous dérivons vers la côte où, anxieux, mes regards se portent. Néanmoins je n’aperçois pas de brisants en dehors de la côte, mais, qui sait !!
Impatients, inquiets de leur sort et du nôtre, nous attendons !
Enfin une embarcation apparait, collée aux flancs du navire, les malheureux font des efforts désespérés pour s’écarter de cette masse, qui, toujours fonce sur eux violemment, comme si elle ne voulait pas les lâcher. A tout moment, ils risquent l’écrasement, et il s’en faut de peu qu’ils s’engagent dans la cage vide de son hélice. Enfin, ils échappent à l’emprise et se trouvent bientôt abrités de notre navire.
Les brisants sont proches. Nous leur faisons signe de presser, mais les malheureux n’ont plus que trois avirons. Notre dérive nous rapproche encore et un lance-amarre leur parvient, ce qui provoque quelques sourires sur les faces barbouillées de mazout. L’embarcation est vivement plaquée le long du Picorre. A la faveur de chaque roulis, les hommes embarquent rapidement aidés des nôtres, courageux à l’extrême. Ils les empoignent comme ils viennent et les laissent tomber de même sur le pont pour s’occuper des suivants. C’est rapidement fait et sans accident.
Attendre où nous sommes serait nous exposer à un désastre, les brisants sont là, tout proche. L’étrave du cargo s’est un peu remontée dans le vent, et nous nous portons à l’avant dans l’espoir que l’autre embarcation nous viendra par là « communion de pensées ». Celle-ci débouche à l’étrave comme nous arrivons et elle se trouve aussitôt abritée par notre navire. Les gars souquent ferme sur les avirons, le salut est là, tout prés et l’on sent les énergies décuplées. Le lance-amarre leur parvient, c’est un cri de joie pour nous « ça-y-est ! ». L’embarcation est vite accostée et l’embarquement des hommes rapidement fait, aidé par tous. Complet, dit le commandant, qui est monté à la passerelle, avec d’autres officiers et plusieurs hommes -38 hommes sauvés et sans accident.
Les émotions un peu calmées, la joie revient peu à peu sur ces visages, la joie d’être là bien vivants, après avoir tragiquement frôlé la mort. De chaleureuses poignées de mains s’échangent, sans paroles ou ponctuées d’un « tank you » plein d’émotion, exprimant simplement leur reconnaissance de ce sauvetage émouvant et périlleux. Nous aussi, nous sommes tous très, très émus, heureux et, qu’on nous pardonne, un peu fiers d’avoir mené à bonne fin l’entreprise hasardeuse de les sauver tous, ce qui était simplement notre devoir.
Quelques minutes de retard et ces hommes étaient voués à une mort certaine, sur cette côte sauvage, où le spectacle était effrayant. Ils la voyaient, cette mort, toute proche, sans aucune chance de salut. Le commandant avait dit au second capitaine : « il faut qu’un miracle se produise sinon nous sommes perdus… » Plus tard, il nous confessera « j’ai cru notre dernier moment venu »
Le miracle du Commandant D.R Hugues : ce fut le Picorre qui en dépit des difficultés qui l’assaillent, de la mer qui le submerge, avance péniblement mais rapidement dans une mer d’écume. Le miracle du Commandant, c’est nous, notre persévérance à poursuivre notre route malgré l’incertitude provoquéepar le mutisme du Castle-Dore à nos premiers appels.
Confiant en ses chaînes, le brave Commandant attendait le Saxon-Star qui, lui, n’a pas approché de la côte, je le comprends. Il attendait aussi -flegmatiquement peut-être- le remorqueur. Espoirs vains, devant la rapidité des évènements et, c’est le Picorre qui, sur les lieux, réussit, au pire de la tourmente et au mépris des dangers à arracher à la mort qui attendait, ces hommes, dans cet enfer qu’était devenu le Cap Sainas, réalisant ainsi le miracle souhaité du Commandant. Peut-être aurions-nous sauvé le navire, si nos services avaient été acceptés de suite.
Maintenant, tous ces hommes, encore émus, nous regardent avec reconnaissance, et nous manifestent leurs joies. Je suis profondément touché de la franche accolade du Commandant Ellison, gueule sympathique qui me manifeste sa joie et ajoute « C’est la vie ». En effet, c’est la vie qui renait sur tous ces visages.
Quelques minutes après leur sauvetage, le navire était là à la côte, notre capitaine disait « le navire s’enfonce par l’arrière » Momentanément à la barre, puis au poste radio, je n’ai pas vu et ne peux affirmer ? Trois coups de sifflet ont salué l’agonie, la fin du Castle-Dore geste qui valut à notre jeune capitaine une émouvante poignée de main et merci du commandant Georges, très ému. Ainsi s’est terminée la carrière du Victory Castle-Dore. Le commandant n’aura pas vu son navire sombrer. Ce sera, je crois, une de ces traces par la suite.
Debout à la mer, nous attendons les ordres de notre armement. Ils nous parviennent à 12h20 via Arcachon Radio : Ralliez La Rochelle, avec rescapés, félicitations à tous. La route est longue et il nous faudra la refaire inversement pour faire notre pêche. A l’arrivée, notre Directeur nous dira ! Ce sauvetage étant accompli par vous Français, l’honneur, le geste devraient rester entièrement Français, c’est pourquoi, je vous ai dit de ramener les rescapés à La Rochelle. Merci pour tous, Monsieur Castaing.
Pour l’accueil, nous avons fait avec nos possibilités. Nous les avons d’abord réconfortés, mais pour loger convenablement 38 hommes de plus, c’était impossible. Il y en avait partout, dans la passerelle, la machine, les postes où les hommes ont cédés couchettes, couvertures, et dans les chambres. Chez moi, dans ma couchette sont logés l’officier radio et un officier de navigation. A cette heure, ils reposent sans souci apparent, mais auparavant, ils m’avaient parlé des êtres chers qui les attendent.
A 19h, Commandant et Officiers, réunis au poste radio trop petit pour tous, ont écouté Londres diffuser la nouvelle de leur dramatique sauvetage. Ces nouvelles avaient été transmises dans l’après-midi à Paris d’abord, puis à Londres par communication radiotéléphonique, via Saint-Nazaire Radio par le commander Ellison parlant du Picorre. Tous ont écouté dans un silence religieux la retransmission du récit du commander que celui-ci m’affirmait par fortes tapes sur l’épaule good radio, good capitaine, good Picorre, puis heureux, malgré tout, les officiers ont entonné un chœur en sourdine.
Nous les avons débarqué le 29 au soir à La Rochelle, où nombreuses furent les poignées de main. Ainsi se termine pour nous l’odyssée du Castle-Dore.
Pour la distance de la côte, nous avions dit 300-200 mètres mais, oh stupeur ! le commandant du Castle-Dore a confirmé devant le Consul, Messieurs les Administrateurs, Monsieur R. Castaing et notre capitaine, qu’au moment où le Picorre s’est placé entre son navire et la terre, pour prendre ses embarcations, son navire était à 180 mètres de la côte, ou il dérivait toujours. « C’était » a-t-il dit « héroïque ».
Sachant que notre navire fait 53 mètres, qu’il y avait la poussée des vagues et que nous avons évolué dans cet espace, il est inutile d’en dire plus long, et nous comprenons mieux le mot « héroïque » du commandant.
L’au revoir des deux Capitaines fut touchant et marqué d’un trait d’humour. Le commandant Hugues, très ému, a remercié et serré la main du jeune Capitaine Laouenan, celui-ci, la gorge serrée lui répondit : « à la prochaine Commandant ». Puis voyant sa méprise, ajouta tout de même « en d’autres circonstances » ! Le Commandant a bien compris. Bye bye !
Pour dissiper le doute, nous sommes revenus le 1er février au matin, sur les lieux du naufrage. Le Castle-Dore repose à la côte, coque immergée, seuls paraissent les mâts, la cheminée et la passerelle. Vous pouvez, Commandant, affirmer que votre navire a sombré. Et pour vous, Commander ELisson, nous avons, comme vous le désiriez, accompli ce pèlerinage à l’endroit où vous avez failli mourir. C’est la vie et Bye Bye.
Charles le Sellin, Le Radio
P.S : Si le Castle-Dore avait voulu répondre à nos premiers appels, et ce, dans le même sens qu’à 09h45, il est probable que nous ne nous serions pas déplacés. Ce miracle du Commandant, celui de les sauver tous, est en partie dû à son mutisme !