Fiche du témoin

Julien Thomas

Julien Thomas a embarqué à 15 ans le 10 juillet 1961 sur le chalutier rochelais Le Saint-Spiridon. Il a travaillé à bord du Manuel-Joël et a connu les campagnes de langoustines dans le canal Saint-Georges entre les côtes d’Irlande et d’Angleterre. Peintre, il a offert au Musée maritime un tableau représentant la Vierge. Il évoque dans ses récits la dévotion que de nombreux marins portaient à la Vierge Marie et la prière qu’ils faisaient au départ de leur campagne de pêche en passant devant la statue de Port-Neuf.

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Julien Thomas, maître d’équipage à bord du Manuel Joël

 

Je m’appelle Julien Thomas, né rue Cardinal à La Ville en Bois, de parents bretons, onze enfants. Mon père était chauffeur sur les vapeurs à La Rochelle. On habitait derrière chez Delmas, le conditionnement de boulets et de briquettes.

Je suis allé à l’école Bonpland et à l’école des mousses en 1960. J’ai eu mon CAM (Certificat d’aptitude maritime) à 15 ans et mon premier embarquement à La Rochelle, sur le Saint-Spiridon, un chalutier de 18 mètres de l’armement Laurent, en 1961. Le patron, c’était Jean-Claude Pruneau, une grande famille de marins pêcheurs de l’île d’Yeu.

Je faisais la cuisine pour cinq. Pour la vaisselle, je prenais un bout de filet. Je mettais toutes mes gamelles dedans. je passais un bout et le balançais par-dessus bord. Un jour, je l’ai oublié et au moment de remonter le chalut, le bateau s’arrête et mon bout vient à la verticale. Quand on remet en route, il y a un gros remous derrière. Mon lave-vaisselle a pas aimé. Le soir, il y avait plus rien. Je me suis pas fait engueulé. On s’est démerdé avec des coquilles de vannets.

Mon frère s’est noyé sur le Primauguet, de l’armement Laurent, au mois d’août 1966, en plein jour. En changeant un chalut de bord, ils ont vu qu’il manquait quelqu’un. Il est tombé à l’eau, je suppose qu’il s’est penché par-dessus bord pour attraper une patte. Je me suis senti responsable longtemps parce que j’ai dévié sa trajectoire maritime. J’étais maître d’équipage sur le Manuel Joël et mon frère ne convenait pas au bon déroulement du travail. Je l’ai fait débarquer aux Sables d’Olonne.

Nous faisions la langoustine. On pêche nuit et jour langoustines et poissons, ce qu’on appelle la chaudrée, raie, roussette, chien, touille, le divers. On allait vendre à Douarnenez au bout de douze jours, on déchargeait, on faisait l’eau, les vivres, le gasoil et on repartait faire une autre marée de dix à douze jours. On redescendait à La Rochelle pour vendre la deuxième marée. On ne dormait que par quarts d’heure. On pouvait rester dix à douze jours sans enlever les cuissardes des pieds. Le travail de la langoustine était très dur, surtout dans le canal Saint-Georges avec les fonds sablo-vasards. Une pochée pouvait faire 500 kg de vase. Il fallait trier et laver les langoustines bourrées de sable à quatre pattes.

Je suis resté un an sur le Manuel Joël. J’ai fait les J3 des compagnies Castaing, Auger, Lebon et d’autres. Je suis parti à l’armée et c’est là que j’ai eu la nouvelle de mon frère disparu à 19 ans.

J’ai fait les pêche arrière, l’Orage et l’Alisée, jusqu’en 1972 et je suis parti en usine. Il y avait une forte décadence des apports, une grande demande en usine et j’avais pas digéré le départ de mon frère. J’ai travaillé chez Simca pendant 20 ans puis je suis revenu à la pêche sur L’Orient, Le Piranhas et le Sainte-Anne La Palud. Et je suis retourné en usine.

En mer, on a toujours un repère. Moi, c’est la Vierge. Je m’appelle Julien Marie. Comme je peins pas trop mal, j’ai fait une Vierge. avec un chalutier au pied, un ex-voto que j’ai offert au Musée maritime.

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