Fiche du témoin
Henri Teillet
Henri Teillet est le donateur du Manuel-Joël, chalutier classique en bois de la flotte patrimoniale du Musée Maritime de La Rochelle. Il est très attaché à ce bateau qui a été construit par son père et sur lequel, de mousse à patron, il aura pratiquement vécu à bord toute sa carrière de marin. Comme, elle le faisait quand il s’agissait d’aller le conduire pour le départ d’une marée, ou pour s’occuper des comptes, Françoise Teillet est aux côtés d’Henri pour évoquer ensemble leurs vies dédiés à ce joli et robuste bateau.
Navires
- Les Bretons, c’était marche ou crève !
- Armateur et patron
- Françoise Teillet, femme du patron du Manuel-Joël
- La nostalgie des anciens
- La rencontre de Joël Chauvet et d’Henri Teillet ou le sauvetage du Galatée
- Le Manuel-Joël : Un chalutier classique en bois - par Yves Gaubert
- Le Manuel-Joël et moi, c’est une longue histoire…
- Le Manuel-Joël sauve l’équipage du Galatée
- Mousse à 14 ans, patron à 23 ans !
- Quand le chalut du Manuel-Joël ne ramenait pas que des poissons…
La rencontre de Joël Chauvet et d’Henri Teillet ou le sauvetage du Galatée
Un échange entre Joël Chauvet, Julien Thomas et Henri Teillet. Alors, raconte 2006
JC : On s’est connu avec le naufrage du Galatée sur lequel j’étais mécanicien. On était en pêche dans le Golfe de Gascogne.
HT : Il y avait des vents de nord-ouest et une grosse houle.
JC : C’était la nuit, au mois de décembre. On était tous ensemble dans le carré d’équipage et j’entends « ding, ding »… Il y avait un matelot qui n’était pas expérimenté, qui n’avait pas l’habitude, je crois qu’il était issu de la maçonnerie. Je lui dis «écoute, cale les bouteilles. T’entends le bordel que ça fait », alors, il ouvre son caisson et il me dit « les bouteilles…elles flottent », je lui dis «comment ça, elles flottent ? » Et bien oui …elles flottaient : il y avait une voie d’eau par derrière. Le bateau, c’était un cul carré. Quand on a viré pour le chalut, le cul c’est mis dans la lame. Il a tossé.
HT : Il a culé.
JC : Oui, il s’est appuyé lourdement sur la lame et ça a ébranlé le bateau. Il y a eu une bordée qui a lâché. On avait pourtant vérifié la coque en carène aux Sables d’Olonne avant cette marée. On était tranquille. Mais, les clous pouvaient être bouffés de l’intérieur. Quand le bateau a été ébranlé, une bordée c’est défaite de l’intérieur. On ne pouvait rien faire parce que le bateau était lesté avec du béton à l’arrière. Ça se faisait souvent. Alors, il y a eu une voie d’eau. Je suis allé dans la machine : l’eau commençait à monter. On a mis ce qu’il fallait en œuvre pour pomper mais les moyens étaient limités. La pompe de cale ne suffisait pas. On a demandé une pompe par le Verdon, ils n’ont pas pu nous l’emmener. On est resté au large pour ne pas risquer de couler dans les passes et on a fini par balancer un avis de détresse et toi, henri, tu es arrivé en premier avec le Manuel-Joël.
HT : En premier, oui
JC : Personne n’a paniqué. Il y avait mauvais temps, mais enfin, on était habitué. Quand il n’y a pas de caisson, de compartiment étanche, la crainte, c’est, qu’arrivé à un certain niveau d’eau, le bateau se déséquilibre et part sur l’avant ou sur l’arrière et coule rapidement. C’était notre crainte.
HT : et en plus, vous aviez des viviers sur ce bateau. Ces viviers pouvaient se remplir et déséquilibrer encore plus le bateau.
JC : oui, il y avait des viviers à anchois et à sardines.
HT : j’étais au baptême du Galatée aux Sables d’Olonne.
JC : oui, c’était un beau bateau. C’était un sardinier sans gaillard.
JC : Ce naufrage, je m’en souviendrai ! Ce n’est pas le genre de truc qui arrive tous les jours ! Bien qu’après, ça m’est arrivé plusieurs fois quand même de risquer de couler. La première ou la deuxième marée après ce naufrage, on était sur un bateau neuf, le Graine d’ortie dont j’avais suivi la construction aux Sables, sur le chantier. J’étais mécanicien. Eh bien, on s’est pris une bille de bois…encore dans le Golfe de Gascogne ! Un avis spécial avait été lancé comme quoi un Delmas (NDLR : un cargo de la compagnie rochelaise Delmas-Vieljeux) avait perdu sa pontée dans le mauvais temps ; mais, le temps que ça passe, on était déjà en route. On s’est pris la bille de bois. On a fait les Shaddocks pendant deux jours (NDLR, ils pompaient) parce qu’il y avait un remorqueur en réparation d’hélice sur le slipway… Alors on se relayait à pomper sur ce bateau qui était flambant neuf et qui avait une voie d’eau entre deux bordées. Des bordées vachement rapprochées, un bateau neuf…comme quoi il ne faut pas grand-chose pour…
HT : On a été des années sans se voir ; puis, un jour, c’était il y a deux ans, je vois deux personnes sur le Manuel-Joël. Je me dis « nom de Dieu ! je connais cette allure» et il se présente « Joël Chauvet », et moi, je lui réponds : « je ne connais pas ». Il me dit « tu te rappelles du grand noir qui avait des grandes moustaches » parce que, quand nous les avons récupérés, il était tout noir !
JC : Oui, parce qu’il y avait les projections. Le moteur Baudouin a tourné jusqu’à ce que l’eau arrive aux pipes d’admission. Alors, moi, qui connaissais la machine par cœur, j’y suis allé à tâtons, sous l’eau, pour tout libérer, les crépines …tout ça ; mais cette eau avait brassé tous les fonds de cale. J’étais complètement noir !
HT : Et dans ce temps là tu avais une moustache qui était grande comme ça (environ 20cm)
JC : Alors, quand ils m’ont vu, ils ont pensé qu’il y avait un noir à bord. Le noir c’était moi ! Nous sommes arrivés à La Rochelle en pleine nuit. J’habitais dans l’île de Ré, il n’y avait pas de bac. Alors, on va à la Maison du Marin, et là, le gardien de nuit me dit : « Impossible de prendre de douche à cette heure, vous allez réveiller tout le monde», je lui réponds : « c’est pas grave, c’est pas grave » et je me suis mis dans les draps comme ça ….Les traces noires dans les draps…c’était pas mon problème ce soir là !
HT : C’est avec notre Bombard (NDLR : radeau de sauvetage) qu’ils ont quitté leur bateau. A deux, on prenait les bonhommes au fur à mesure.
JC : Il y en a que ça a choqué.
HT : Le grand blond.
JC : Pourtant, il en avait vu, il avait fait la légion mais ça l’a marqué quand même. Il n’a plus mis les pieds sur un bateau en bois. Parce que les bateaux en bois, malgré tout, c’est un peu plus vulnérable.