Fiche du témoin
Jean-Pierre Morin
Elève des peintres Morvan et Claude Suire, puis étudiant aux Arts Décoratifs. C'est Marin Marie, par ses conseils et encouragements qui va lui ouvrir la passion de la peinture, et du voyage à la voile.
Il embarque à 18 ans sur le chalutier Evel, et tirera de cette expérience récit, anecdotes et peintures. Il consacre alors son temps libre à son art et à la construction de son voilier.
L'essentiel de sa peinture et de ses textes sont inspirés par ses voyages.
Ma campagne de pêche hauturière
Un récit de Jean-Pierre Morin
En 1969, à 18 ans, un client de mon père me propose d'embarquer pour une campagne de pêche en mer d'Irlande. Une marée selon le terme de l'époque, c'est à dire entre 2 et 4 semaines de navigation dans les zones du canal St George, et du Sud Irlande qui étaient riches en merlus, daurades et autres espèces nobles.
La pêche hauturière Rochelaise vivait ses dernières années de relative prospérité.
Le bassin des chalutiers, avec l'encan, les chantiers, les bistrots, la Ville en Bois, formaient une communauté un peu à part de la ville. Toutes ces activités généraient une vie grouillante, un pittoresque et une inoubliable ambiance.
Tout ceci allait sombrer corps et biens quelques années plus tard, victime à la fois de la première crise pétrolière, et de l'éloignement de La Rochelle par rapport aux principales zones de pêche.
Mais ce petit monde haut en couleur ignorait encore tout cela, et pour moi, étudiant aux Arts Décoratifs, un embarquement même sur le plus déglingué des rafiots, c'était commencer à assouvir ma passion marine débutante.
Cet embarquement me permettait de soulever un coin du voile, accéder à un monde ignoré et fermé aux terriens : la pêche hauturière.
Le monde de la pêche, vu non pas d'un quai bien stable, mais d'un pont glissant, en bas d'une salle des machines, ou derrière la vitre d'une passerelle.
La vie sur un chalutier était complètement méconnue à l'époque.
Les chalutiers de mon adolescence : on se contentait de les regarder appareiller les uns après les autres, souvent à la marée du soir. Mais passés l'écluse, après un bref salut aux badauds d'un coup de sirène, ils disparaissaient dans la nuit.
Le marin pécheur je l'imaginais dans cet autre univers, partagé entre une bordée au repos et une autre à virer (remonter le chalut) de jour comme de nuit, quelque soit le temps, dans d'infectes odeurs de mazout et de poissons mêlées
A part quelques photos jaunies de bateaux à quai, il reste très peu de document du travail en mer dans les années 60, ces hommes, peut être par pudeur ou par humilité, parlaient peu de ce métier, et de ses dangers. Ils ne s'étendaient pas en littérature, et à bord avaient bien d'autres choses à faire que de prendre des photos, entre eux, je suppose, la peur devait bien exister quelquefois, mais à bord comme à terre on ne parlait pas de ces choses là.
Le chalutier Evel de 30 mètres de long hors tout, était déjà un vieux bateau en 1969, ce n'était pas un « pêche arrière », le chalut se remontait par deux portiques placés de chaque bord. Ce type de bateau qui n'avait guère évolué depuis l'avant guerre, avait un comportement très sain dans le mauvais temps, mais le système de chalutage par le coté rendait les manœuvres plus compliquées et pouvaient être beaucoup plus dangereuses que sur les pêches arrières. Quelque soit le temps, la remontée du chalut est une manœuvre délicate, qui s'effectue toujours de la même façon. Le treuil remonte les fûnes (gros câbles d'acier qui remorquent le chalut), dans le même temps le bateau vire de bord pour se mettre en travers des lames, l'homme de barre évite ainsi que le filet ne remonte vers l'hélice et ne se prenne dedans. Le bateau en travers de la houle protège de ses flans la zone plus calme pour la remontée finale du chalut. La poche avec ses centaines de kilos de poissons arrive en surface, un homme appuyé contre la lisse, doit passer sous le filet un bout relié au treuil, l'ensemble sera relevé pour être déposé au dessus du pont. Le chalut vidé, le poisson est rapidement trié dans des paniers, et pendant que des hommes remouillent le chalut, d'autres vident et nettoient les poissons, avant de les descendre dans les cales glacées et salées.