Fiche du témoin
René Moinard
René Moinard a fait partie de l’équipe qui a construit le Sipway actuel, le premier ayant été détruit pendant la guerre. Il se souvient du difficile montage des bers et des essais avec le chalutier « La Madone » de l’armement Frédérique. D’apprenti à contremaitre, il gravira tous les échelons et travaillera pendant 46 aux ACRP jusqu’à sa fermeture. Un précieux témoin de l’histoire du Slipway de La Rochelle.
Lieux
René Moinard : chaudronnier au chantier naval de La Pallice
Un texte d'Yves Gaubert
J’ai travaillé sur le slipway du début de l’automne 58 à octobre 59. J’ai été apprenti chaudronnier au chantier naval. J’ai été embauché en 1941 et j’y ai travaillé jusqu’à la fermeture en 1987, 46 ans de chantier.
Le slipway a été construit par les Allemands en 42. En 57-58, il a rendu l’âme. La Rochelle était fréquenté par de gros chalutiers et c’était un service important. Les pouvoirs publics ont décidé de reconstruire les bers et ils ont ajouté un ber transversal. Ça a été demandé à la société AEJP, Ancien Etablissement Joseph Paris à Nantes. Ils étaient spécialisés dans les gros poteaux électriques de milliers de volts. Ils ont sous-traité au chantier naval la construction du ber aval et le montage des trois éléments (ber amont et ber transversal qu’ils s’étaient réservés en construction).
On est intervenu sur le site pour le montage en février 59 après la fin des travaux de béton, pose des rails et pose des rouleaux qui soutiennent le câble. On a monté le ber aval, le plus compliqué, le plus massif et on en a fait les essais au mois de juin, avec le chalutier La Madone de l’armement Frédéric. C’était un vieux chalutier pas très lourd qui datait de l’autre siècle, de 1898, un ancien vapeur modifié à moteur. En accord avec la chambre de commerce, on a monté les autres bers en laissant la possibilité de se servir du ber aval.
En août, on a monté le Saint Patrick, vous avez la maquette à bord du France I, un gros chalutier américain, type Corporation.
Je dirigeais les travaux sur le slipway. Après on a fait le ber transversal. Il était sur le côté qu’il fallait monter sur le ber aval et après couler les deux pour qu’un bateau monte dessus puis relever le tout. Au mois d’octobre, on a fait les essais avec le plus gros chalutier de La Rochelle, le Casoar, armement Castaing, qui faisait 600 tonnes. Ça s’est bien passé. Là c’était fini pour moi.
Au chantier, j’ai monté tous les grades d’apprenti à contremaître principal et j’ai fini comme ça. On m’a obligé à faire le chaudronnier, je voulais être électricien, mais en 41 ils n’ont pas voulu d’apprentis électriciens. J’ai demandé à partir, le directeur, M. Camaret, qui a été fusillé avec M. Vieljeux en 44, m’a dit qu’il fallait que j’aille voir les officiers allemands. L’officier a dit : « Vous resterez au chantier naval et vous ferez le chaudronnier. »
Je n’ai pas construit que des bateaux, parce qu’il y avait un département qui s’occupait des travaux terrestres. On faisait des vannes pour les gros barrages, beaucoup d’outillages pour les presses Michelin.
J’ai été déçu quand j’ai vu le slipway dans un état lamentable. Je me demande s’ils vont le remonter ou pas. Je leur souhaite du courage s’ils reprennent les morceaux existant. Ça a été un sacré boulot, j’avais 10 à 12 bonshommes, c’était un gros boulot. Je suis entré au chantier le 19 mai 41 et j’en suis sorti le 14 juillet 87.
Il y a eu les bombardements pendant la guerre, puis les conflits sociaux à partir de 47. Tout le long de ma carrière, ça été ça, mais je me tenais un peu à l’écart. J’étais pas trop bien vu par les syndicats.
J’ai appris un peu d’électricité, car quand vous construisez un bateau, il y a de nombreuses corporations, des mécaniciens, des électriciens, on se donnait des conseils les uns les autres. Quand j’ai commencé les bateaux étaient rivés. Le slipway est rivé. Les rails sont rivés. La soudure existait mais pas pour tout. Les rivets ont duré jusqu’en 1960 à peu près. Quand on faisait des remorqueurs, la première tôle de quille était rivée. J’ai participé à la construction du Saint Gilles.
Le dernier bateau, un cargo indien, était construit pour la recherche pétrolière et pouvait perforer sur plan incliné. Il était prévu pour travailler à Chittagong. J’ai travaillé aussi un peu sur le bateau de Cousteau, l’Alcyone.
150 mètres, c’était la longueur maximum au chantier. On a fait un bateau pour les Russes, un pour la Tunisie et deux bateaux brésiliens. Les bateaux étaient lancés, le quai de l’autre côté n’était pas loin. Fallait mouiller les ancres. Je dirigeais la manœuvre à l’arrière, je voyais le quai qui arrivait assez vite.
Je suis originaire de l’île de Ré, ma femme aussi et tous les deux on a habité à la Ville en Bois jusqu’en 64. C’était la zone.