Fiche du témoin

Lucien Joubert

Lucien Joubert vient d’une famille de paysans de l’Ile de Ré. Tout petit, il avait décidé : il serait marin ! Après des débuts à la pêche sur l’île de Ré et son service militaire, il embarque le 15 mai 1949 sur un chalutier à vapeur, l’Isole. Dans ses récits « Vie de marin, vie de chien » dont nous publions des extraits, il décrit avec réalisme et justesse  les conditions de travail à bord. Toujours passionné par la mer, il est un des spécialiste des écluses à poissons  et continue à faire des recherches et à écrire.

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La sécurité sur le pont

Un texte de Lucien Joubert

La sécurité sur le pont n’était pas des meilleures. Les câbles traversaient les lieux de travail, les rouleaux de guidage des câbles étaient plantés au milieu du pont ou dans des endroits fréquentés par les matelots…Un câble qui casse et qui naturellement fouette peut faucher un ou plusieurs matelots. le parc à poissons était traversé par ces câbles, le danger y était permanent. Quand le chalut est viré ou filé, ces câbles passent entre les jambes des matelots, il faut passer par-dessus pour le travail, crocheter la vérine. Le matelot était à la merci de se faire happer la vareuse par une épissure, ou par une simple épingle si les câbles accusaient un peu d’usure ou de voir un de ses membres entraîné dans ces rouleaux. C’était un accident fréquent, un membre qui disparaît quand ce n’est pas la vie. Le second se devait d’être vigilant et de ne jamais perdre de vue le champ d’action sinon, ce pouvait être le drame.

On disait que c’était la faute du matelot, qu’il aurait du faire attention…Mais, c’est sans compter avec un patron, comme j’en ai vu bien des fois qui était soucieux de l’appât du gain et qui, pas toujours patient, entraînait un rythme très rapide des opérations, pressant l’équipage sans se soucier du danger auquel il obligeait ses hommes à s’exposer… En effet, pour certains patrons, seul le résultat comptait…Il se devait d’être le meilleur des pachas, sinon il risquait d’être débarqué ! C’était sans compter aussi avec le matelot qui savait que meilleure sera la pêche, meilleur sera sa paye et sans compter aussi avec l’armement qui était toujours avide des meilleurs rendements sans se soucier du confort et de la sécurité.

Les paquets de mer qui balayaient le pont à longueur de journée s’ajoutaient à l’insécurité. J’ai vu bien souvent des matelots projetés sur les treuils ou autres obstacles qui se trouvaient sur les ponts de tous les chalutiers. Les bras et jambes cassées, quelques côtes cassées ou traumatismes étaient fréquents, La science des patrons à pourvoir aux premiers soins était précaire. J’ai vu, malgré mes protestations, un chef mécanicien masser pendant une semaine le bras cassé d’un mousse ! Personne n’était capable à bord d’apporter les premiers soins, ne serait-ce que l’immobilisation d’un membre. Je fus, je crois, le premier élève à mon entrée à l’école de pêche à demander des cours de secourisme. Plusieurs futurs patrons ont protesté, mais aujourd’hui cela fait partie de l’examen. Avec les chalutiers classiques, le danger était permanent, je serais curieux de savoir le nombre de marin blessés ou tués par ce manque de sécurité et l’indifférence des patrons et des armements au nom du profit.

Avec l’arrivée des pêches arrières, la sécurité fut nettement améliorée, les câbles étaient séparés du lieu de travail, la sécurité, si elle n’était pas totale était bien meilleure. Il fallut quelque temps pour que ce nouveau mode de travail soit au point. Quand j’ai fait construire mon dernier chalutier, j’ai veillé personnellement à ce que cette sécurité soit respectée au maximum. Cela a un coût, et beaucoup de futurs propriétaires hésitent à s’engager en ce sens au mépris de la vie des hommes. Aujourd’hui, je n’ai guère de contacts avec ces milieux, mais cette sécurité sur les pêches arrières est toujours valable, les engins de relevage sont beaucoup plus sûrs, le nombre des accidents a énormément diminué. Quand il y a un mort ou une disparition, c’est un événement, alors qu’autrefois, c’était courant…A tel point que je me demande si nous, les marins, n’y étions pas habitués …

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