Fiche du témoin

Lucien Joubert

Lucien Joubert vient d’une famille de paysans de l’Ile de Ré. Tout petit, il avait décidé : il serait marin ! Après des débuts à la pêche sur l’île de Ré et son service militaire, il embarque le 15 mai 1949 sur un chalutier à vapeur, l’Isole. Dans ses récits « Vie de marin, vie de chien » dont nous publions des extraits, il décrit avec réalisme et justesse  les conditions de travail à bord. Toujours passionné par la mer, il est un des spécialiste des écluses à poissons  et continue à faire des recherches et à écrire.

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Mon embarquement sur le Marie-Yette en Septembre 1950

Un texte de Lucien Joubert

 
 

Grâce à mon ami Henri, dont le copain était second sur le Marie-Yette, j’avais pu rencontrer la patron qui m’avait refroidi en me disant  « je n’embarque pas les paysans». Je n’avais pas insisté ! Malgré tout, grâce aux recommandations d’Henri, le second m’a embarqué. C’était un homme qui avait énormément roulé sa bosse et avait été plus de quinze ans comme maître ramendeur à Terre Neuve. Ces bateaux étaient au mois, ce qui faisait que dès que l’on était sur le rôle et que le repos était terminé, nous devions travailler à bord. Le lendemain, j’étais à peindre la passerelle quand le patron arrive et me demande ce que je faisais à bord. Je lui  apprends que j’étais embarqué…Ca ne lui a pas plu du tout et toute la marée, il me mena la vie dure, me traitant de paysan, ce qui pour un marin est une insulte. Tous les jours, il me répétait «vous irez garder vos vaches dans l’île de Ré».

Il avait un chien de terre neuve qui le suivait en mer. Ce chien avait tous les droits et parfois il nous exaspérait. Nous le rappelions à l’ordre par un coup de filin et c’était des hurlements à n’en plus finir, et, naturellement, on se faisait engueuler. Ce chien profitait toujours d’un moment d’inattention de notre part pour mettre ses excréments sur le chalut que nous étions en train de réparer. On s’en mettait plein les mains… Le chien se faisait corriger, il hurlait et le patron gueulait ! Par contre, ce chien avait une grande qualité, dès que le chalut arrivait au bord de la lisse, il sautait à l’eau et ramenait les merlus qui s’échappaient du filet ! Alors, rien que pour ça, il était pardonné de ces bêtises. La nuit, il couchait dans le local du sondeur et à chaque fois que nous allions sonder, nous marchions sur une de ses pattes ou sur sa queue, et, bien sûr…le patron rouspétait. Quand nous rentrions à terre dès que les portes étaient en vue, il sautait à l’eau pour être le premier à saluer sa maîtresse, c’était une curiosité sur le quai de voir ce chien nager et monter les marches sur la digue et faire la fête à cette dame. A l’arrivée, ce patron me confirme mon débarquement, il faut dire que s’il m’avait mené la vie dure, j’avais aussi tout fait pour le provoquer, sachant qu’il ne me garderait pas. Mais, le jour de la vente, l’armement l’avait remercié et avait embarqué à sa place un jeune patron plein d’ambition et dès le départ, très performant, François Guéguen, qui lui, m’a demandé de rester. Quelques années plus tard, je ai retrouvé ce premier patron, comme magasinier chez Sanquer et n’ai pu me retenir de lui rappeler que, s’il m’avait donné mon sac, c’est lui finalement qui avait été viré…

Enfin, un embarquement stable, nous gagnons bien notre vie, et ce patron ne donne pas de préférence aux Bretons, bien qu’il soit originaire du Bono. Certes, il était très indulgent pour eux : il y en avait deux qui, toutes les marées, au départ étaient ivres, il rouspétait, mais sans grands effets sur ces hommes imbibés d’alcool. Parfois, il leur fallait plusieurs jours pour récupérer et si le travail n’avançait pas assez vite, c’est nous qui prenions les réflexions. J’ai vu l’un d’eux, quand il n’avait plus de vin faire des crises de delirium tremens. C’était spectaculaire ! Pour s’en remettre, il lui fallait deux jours. Le seul remède efficace, c’était, quand sa crise le prenait, de lui glisser dans la bouche, une cuillerée d’alcool à 90°… Il repartait de suite ! Mais, le lendemain, il lui fallait à nouveau sa dose… Par contre, à l’arrivée, ces deux ivrognes n’étaient pas les derniers à percevoir leur paye !

 

Sur tous ces bateaux, nous étions payés en espèces, les chèques n’avaient pas cours, le marin aimait toucher ses billets, les sentir, c’était viscéral ! Pour régler les consommables, apéritifs, tabac, vivres, le rendez-vous se passait chez André Rateau, rue Saint Nicolas, au café « La Corvette». Presque tous les équipages se retrouvaient dans ce café dont le patron assurait l’avitaillement des chalutiers. Il faut dire que tous ces navires étaient de très bon clients. A cette époque, on ne buvait pas d’eau, ce n’était que du vin. En moyenne, un matelot en consommait un litre par jour, mais certains en consommaient beaucoup plus. En plus de ce litre de vin, tous les jours, le matin à huit heures, le mousse avait les ordres : il nous servait un verre de vin blanc.  Parfois, si nous dormions, il nous réveillait pour nous servir, et c’était très mal vu si nous refusions. A 10h, un verre de rosé, à 10h30, 11h le Ricard, et, au moment de passer à table, un verre de vin cuit (Raphaël, Dubonnet, ou autre…).

L’après-midi, ça recommençait… il ne faut donc pas s’étonner si certains devenaient alcooliques. C’était par camion que s’embarquaient les alcools, le vin, le tabac et l’eau de Cologne. Le tout était dédouané et devait être consommé en dehors des eaux territoriales. II était interdit de débarquer ce qu’il  restait, à l’arrivée, l’inventaire devait en être fait et reporté sur le manifeste pour être remis à la douane. Cela n’empêchait pas les équipages de débarquer parfums et autres spiritueux, mais il fallait faire très attention, la douane veillait. Quand nous étions au café à régler les comptes, chacun devait payer sa bouteille d’apéro, nous étions douze à bord, et le patron du café payait la sienne, pas besoin de dire, quand nous arrivions à la maison, nous n’étions pas toujours très frais, mais c’était la coutume et si on refusait, c’était mal vu, on risquait de perdre sa place. Les femmes ne disaient rien, c’était comme ça et il fallait s’y faire.

Sur ce navire, je gagnais très bien ma vie, l’argent rentrait régulièrement, nous faisions des économies, j’envisageais sérieusement le jour ou je pourrais entrer à l’école de pêche.

Les copains que j’avais connu sur le Guyenne lors de mon passage comme cuisinier, m’avait trouvé un petit logement à Châtelaillon. Jeannette y fut très heureuse et est devenue rapidement copine avec leurs épouses. Pourtant, le confort était modeste, la cabane au fond du jardin, pas d’eau courante, juste un robinet pour trois ménages dans le jardin, pas d’isolation de la maison, mais nous étions jeunes,  amoureux et plein de joie de vivre.

J’apprenais mon métier, je commençais à être connu pour mon sérieux, les matelots me respectaient, bref, j’avais fini par m’imposer.

Au mois de mars 1951, une petite fille que nous appelâmes Nicole vint égayer notre foyer, Ce fut un grand bonheur pour Jeannette, rien ne fut trop beau pour notre petite poupée, ce fut le bonheur le plus complet pour toute la famille.

 

 CHIENS-MARIE YETTE–ALCOOLISME

 

 

 

 

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