Fiche du témoin

Lucien Joubert

Lucien Joubert vient d’une famille de paysans de l’Ile de Ré. Tout petit, il avait décidé : il serait marin ! Après des débuts à la pêche sur l’île de Ré et son service militaire, il embarque le 15 mai 1949 sur un chalutier à vapeur, l’Isole. Dans ses récits « Vie de marin, vie de chien » dont nous publions des extraits, il décrit avec réalisme et justesse  les conditions de travail à bord. Toujours passionné par la mer, il est un des spécialiste des écluses à poissons  et continue à faire des recherches et à écrire.

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Mon premier embarquement comme cuisinier

Un texte de Lucien Joubert

 

Entre deux embarquements, alors que j’étais aux champs à aider le domestique de mes parents, un patron est venu me chercher pour me demander si je voulais embarquer comme cuisinier. Pourquoi pas ! Toutefois, je l’ai prévenu que je n’étais pas fort en cuisine ! Mais, comme je m’étais un peu amélioré avec l’aide de jeannette, ma femme, j’ai j’accepté. A cette époque, à bord, on mangeait surtout du poisson. Au départ, souvent, il y avait un pot au feu ou une potée au lard. A mi-marée, je leur avais fait la surprise de leur faire un bifteck-frites-salade…C’était Byzance ! Les gars étaient fous des frites. On n’avait jamais vu cela, l’armateur a commencé par rouspéter, il y avait trop de frais de nourriture ! Quand j’en ai parlé au patron, il m’a rassuré : «Ne t’en n’occupe pas, si l’équipage est satisfait, c’est le principal !». Il faut savoir que nous étions à la part. La nourriture faisait partie des matières consommables qui étaient ajoutées aux frais d’exploitation mise sur le commun et retirées du produit de la vente. L’armateur en payait donc sa part, et plus le matelot bouffait de la merde, plus il était heureux : c’était ça de plus pour sa poche ! Je commençais à me débrouiller en pâtisserie : tartes, quatre-quarts, crèmes améliorèrent le menu. Je rajoutais du poulet et des ragoûts aux biftecks, ce qui fait que, quelques mois plus tard, lors de mon débarquement, nous mangions un plat de viande tous les deux jours ! Rares étaient les bateaux qui pouvaient se vanter de manger ainsi ! Si le patron n’avait pas été d’accord, jamais je n’aurais pu faire cela, car les armateurs dans leur ensemble y étaient opposés. Un matelot était condamné à manger du poisson, et encore … Les déchets ou ceux qui n’avaient aucune valeur commerciale. Moi, j’ai commencé à leur servir de la lotte, du merlu, et je peux dire que l’équipage aimait ça ! Jamais, nous n’avons mangé autant de langoustes et de homards qu’à cette époque, jusqu’à en avoir un certain ras le bol ! Si j’ai débarqué assez vite, c’est que, malheureusement ce patron, à qui pourtant, la réussite faisait de l’œil, a commencé à se perdre dans la boisson…Souvent, en mer, il était ivre. Parfois, il nous était impossible de le réveiller la nuit pour virer. C’était le second qui se chargeait alors de la manœuvre et qui remettait en pêche. Quand il se réveillait, il trouvait tout à fait normal que le bateau soit en pêche… lui avait bien dormi ! Il a commencé à manquer de respect aux matelots, à nous insulter.  C’était un jeu pour lui de mettre « en route toute » lorsque nous nous déplacions, ou de mettre l’équipage « au vent » en  s’arrangeant pour qu’ils soient complètement arrosés, et au risque de provoquer un accident. Tout cela en hurlant … Je commençais à me demander comment cela allait finir …Aussi, fin novembre, j’ai débarqué. Il m’a demandé pourquoi et quand je lui ai dit la raison, il n’a pas apprécié… Quelques marées plus tard, il était débarqué et ne dût sa survie qu’à son frère qui était un des meilleurs patrons du port. Plus jamais, cet homme n’eut de commandement, et quand, une fois ou deux, il a remplacé son frère, à chaque fois, il faisait un scandale.

MOTS-CLEFS : ALCOOLISME, CUISINE, REPAS, REMUNERATION PECHE, PATRON FURIEUX

Ville de la Rochelle Musée DRAC Poitou Charentes FAR Ami du musée