Fiche du témoin

Lucien Joubert

Lucien Joubert vient d’une famille de paysans de l’Ile de Ré. Tout petit, il avait décidé : il serait marin ! Après des débuts à la pêche sur l’île de Ré et son service militaire, il embarque le 15 mai 1949 sur un chalutier à vapeur, l’Isole. Dans ses récits « Vie de marin, vie de chien » dont nous publions des extraits, il décrit avec réalisme et justesse  les conditions de travail à bord. Toujours passionné par la mer, il est un des spécialiste des écluses à poissons  et continue à faire des recherches et à écrire.

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La vie d’un mousse à bord d’un vapeur après guerre

Un récit de Lucien Joubert

Sur les vapeurs, il y avait un cuisinier qui préparait les repas pour les officiers du poste arrière, comprenant : le patron, le chef mécanicien, le premier chauffeur, le second mécanicien, le radio, le second pont et lui-même.

Pour l’avant, le mousse était chargé d’assurer les repas des six matelots, des trois chauffeurs, du novice et le sien, il devait assurer le remplissage des aiguilles, la propreté du poste équipage, et aider sur le pont à la réparation des chaluts, en un mot, apprendre son métier de marin. Souvent malmené par les matelots, pas toujours respecté, il était considéré par ces vieux matelots comme leur boy. S’il voulait que le chauffeur de service l’aide à faire son plein de charbon, prélevé dans les soutes, il devait l’aider à remonter l’escarbille après le décrassage des foyers. Le mousse était à cette époque l’esclave du bord, les repas devaient être prêts à onze heures précise à la seule fin que le chauffeur qui prenait son service à midi ait le temps de faire une petite digestion. Les matelots, sauf imprévus, mangeaient à onze heures. Le chauffeur qui laissait son service à midi, prenait sa douche et se mettait à table à treize heures et il y avait intérêt à ce que le repas soit chaud et non réchauffé, sinon le mousse entendait parler du pays. Certains de ces hommes étaient très sociables et ne dérangeaient pas le mousse, se servant eux même ou faisant réchauffer leur repas, mais, j’en ai connu d’autres qui se conduisaient en vrais tyrans, martyrisant ces pauvres gosses… Il m’est arrivé plusieurs fois de prendre leur défense.

Toutes les marées, à l’arrivée, le mousse devait présenter sa vaisselle propre sur le panneau de cale avant, ces assiettes et plats étamés devaient briller comme de l’argenterie, astiquée avec de la cendre tirée du poêle à charbon de la cuisine avant. Si la vaisselle n’était pas nickel, le matelot qui passait l’inspection lui faisait refaire entièrement, c’était généralement le plus ancien du bord qui était traditionnellement chargé de cette inspection. Le cuisinier ne venait jamais participer au travail sur le pont. Dès qu’il avait choisi le poisson qui lui était nécessaire pour ses repas, il disparaissait. Il y avait vraiment une énorme différence entre ces deux postes, le mousse était l’esclave et l’autre, le cuisinier,  le petit seigneur. Ces disparités de traitement disparurent à partir de 1952, un chef cuisinier assurait les repas pour l’ensemble de l’équipage.

 

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