Fiche du témoin

Yves Joncour

Yves Joncour est né en 1929 à La Rochelle de parents bretons. Sa mère était originaire de l’ile de Groix et son père de Tréboul.  Sa vie active débutera à 14 ans comme mousse sur le Jouet des flots pour terminer sa carrière sur le Fomalhaut qu’il commandera pendant 18 ans… A la retraite, il continue à s’intéresser à la pêche et écrira plusieurs textes et ouvrages en particulier  « Drames de mer 1939-1945 en Charente-Maritime ».

Version imprimable

De mousse à patron de pêche

Dans les années 1900/1920, les enfants naviguaient dès l’âge de neuf ans. Dans les années 1930/1940, civilisation aidant, les jeunes débuteront entre douze et quatorze ans. A douze ans pour un soutien de famille, une dérogation lui sera accordée.

Les Ecoles d'Apprentissage Maritime

Sous la poussée d’une délégation JMC (Jeunesse Maritime Chrétienne) les écoles d’apprentissage maritime furent fondées et déclarées au Journal Officiel du 28 Juillet 1941. Pendant cette guerre, le stage à l’école s’effectuait entre deux roulements d’embarquement sur les chalutiers qui étaient de deux à trois marées. Le mousse fréquentait l’école où lui étaient prodigués des cours de ramendage, de canotage voiles et avirons (sortie autorisée jusqu’à hauteur de la Tour de Richelieu), de mécanique, bois, législation maritime et tout ce qui devait parfaire la connaissance.  Cette école était gratuite et l’élève n’y était point rétribué. Le directeur en était un capitaine au long cours. Celui-ci était rétribué et sa navigation courait (car embarqué sur le canot) en vue de l’obtention de sa retraite.

L’école était un moyen de résorber le chômage et de maintenir une pépinière de marins pour de futurs beaux jours. Le jeune élève se voyait attribuer un écusson sur lequel figuraient deux hallebardes ainsi qu’un signe E.A.M. (Ecole d’Apprentissage Maritime). Cet écusson était cousu sur la vareuse de travail. Etre mousse sera la première fonction du débutant, fonction contraignante, voir ingrate, suivant le genre de navigation pratiquée, petit ou grand métier, famille, amis à bord ou pas. La coutume veut que le mousse soit appelé « Castor » mais n’en donne pas le sens.

 

Le métier de mousse

Le petit métier ainsi qualifié comprend les sorties d’une à cinq journées de mer. Au dessus, c’est le grand métier, appellations pratiquées à La Rochelle dans les conversations. Un mousse embarqué sur un coureauleur sera privilégié car, rentrant tous les soirs, il pourra décompresser à la chaleur du foyer. Quant au grand métier, si le mousse n’a à bord ni famille, ni amis, il lui faudra une grande force de caractère, car il subira plus facilement quolibets et gestes vexatoires de la part de certains individus.  Le patron qui pourrait y remédier hésite parfois à s’y intéresser.

Les départs sont souvent animés et il faut avoir l’estomac solide pour ne pas céder au mal de mer, car il faut descendre dans le poste d’équipage qui sert de réfectoire, de cambuse, de salle de douche, de dortoir, mais aussi de magasin servant au matériel, comportant diverses compositions dont suif, peinture, pièces à chalut, peau de vache (cuir à chalut) tout ceci dégageant une forte odeur. Le mousse se doit d’être courageux et respectueux, ce qui lui facilitera la vie. Il doit, à l’époque, assurer sur la plupart des chalutiers les repas pour l’équipage, ce qui n’est pas toujours évident quand les éléments s’en mêlent. La propreté du poste d’équipage sera de son domaine : une grande table de bois blanc, destinée aux repas trône à l’intérieur de ce poste. Cette table sera toujours bien entretenue. Elle sera briquée avec une roussette (poisson) prise à rebours et qui vaut tous les détergents réunis. L’eau potable est réglementée pour cause de rareté, le carburant primant sur celle-ci. L’eau de mer sera employée pour la vaisselle, la cuisson de certains aliments (langoustines, crustacés) et la propreté du poste, table comprise.

A bord des chalutiers vapeur, le mousse cuisine dans le poste avant pour une dizaine d’hommes (matelots et chauffeurs) logés dans ce même poste. A l’arrière du navire trouvent place les « bœufs », ainsi nommés parce que représentant l’état major du navire. Ceux-ci disposent d’un cuisinier. Cette situation perdurera jusque dans les années 1950.

Le mousse doit être présent sur le pont à chaque fois que le train de pêche est viré, sauf la nuit où, en principe, il a droit au repos (ce qui n’est pas toujours respecté). Il sera à la disposition de l’équipage pour servir l’apéro, le café ou chercher des cigarettes. Avant la remontée du train de pêche, les aiguilles servant à la réparation du chalut seront pleines, et il faudra s’activer pour les fournir car le temps est compté. Si le chalut est déchiré, celui-ci est étalé au mieux sur le pont. Si les avaries sont trop importantes, il faut sortir l’autre train de pêche. Pour la réparation du chalut, le mousse installera sa caisse à aiguilles vers le centre du travail pour effectuer sa prestation le plus rapidement possible.

Le mousse descendra dans la cale pour piquer la glace qui sert à la conservation du poisson ; pour ce faire, il dispose d’un outil muni de trois pattes en acier au bout d’un manche : cet outil est le pic à glace. Cette glace parfois inemployée devient très dure et provoque, par ses éclats, des entailles sur le dessus des mains et parfois sur le visage, et pour ne pas passer pour une « gonzesse » la protection n’est pas de mise. Parfois, par pitié, le matelot de cale prend le relais pour en assurer une distribution plus rapide.

La toilette de l’équipage aura lieu sur le chemin du retour de mer. L’eau douce sera répartie dans un seau et le poste d’équipage servira de cabine de douche avec spectateurs obligés. Cette scène tient de l’équilibrisme et du comique par gros temps.

A l’arrivée, le mousse doit être le dernier à quitter le bord après avoir vérifié que rien n’est à la traîne (seaux, bottes, cirés, brosses ou paniers), le bateau devant être impeccable comme pour une inspection.

Faire ses preuves pour devenir novice

Le mousse obtiendra pour sa paie une demi- part sur la part équipage. S'il réunit beaucoup de qualités, le bosco le fera savoir auprès du patron qui lui octroiera un quart de part supplémentaire et la fonction de novice sur le rôle équipage. On peut être novice entre quinze et dix huit ans. La place de cuisinier est souvent proposée à cet âge là. Le gain est égal à celui de matelot, c’est-à-dire une part d’équipage. Mais il doit en plus faire le boulot de mousse et assurer le quart de nuit en route.

Le choix de ce métier est souvent lié à la naissance puis au vécu dans ce milieu maritime. A l’âge d’embarquer, le mousse passe une visite médicale complète auprès du médecin de la marine ; cette visite, après intégration, sera annuelle. S'il a l'aptitude, l’inscription maritime délivrera un fascicule qui servira à la fois de pièce d’identité et d’embarquement. Le marin sera inscrit dans les registres sur un numéro d’inscription provisoire. Ce numéro provisoire deviendra définitif après dix-huit mois de navigation et de réflexion.

Promotion de matelot ou cuisinier : une reconnaissance

Suivant les capacités de l’individu et la décision du patron, le novice ou mousse peut dès l’âge de dix-sept ans se voir proposer la fonction de matelot ou cuisinier. C’est une promotion acceptée avec fierté malgré le surcroît de travail imposé et cette promotion est ressentie comme un passage à la vie adulte car elle vous apporte une égalité de droit avec l’équipage. La rumeur du quai est plus importante qu’un certificat de travail pour connaître qualités et défauts du marin et c’est cette rumeur qui définira le choix de toutes fonctions confondues. Ce métier impose des conditions de vie pénibles particulièrement l’hiver. Il faut conserver son équilibre sur le pont, être disponible à tout instant, savoir laisser une assiette à peine entamée, sortir de sa couchette rapidement, enfiler bottes et cirés, écourter un besoin naturel, rester de longues heures debout sous les intempéries…

Le travail peut être réglementé au cours d’une route libre de plusieurs heures, des bordées de quart étant établies, ou d’une maintenance de longue durée à la cape, ou bien au cours d’une nuit sans drague sous condition de ne pas passer trop de temps aux réparations du matériel de pêche.

Dans les années 1950 on s’inquiétait déjà de la ressource, des contrôles étaient assurés alors par l’office des pêches. Certains navires vétustes (premières armes du débutant) de mauvaise tenue à la mer étaient désignés par les marins sous le vocable de « chiottes ». Ces bateaux offraient la possibilité de relâche dans le port le plus proche au cours d’un fort coup de vent, des pannes de moteur ou autres inconvénients qui rompaient un peu la monotonie du métier mais le salaire s’en trouvait d’autant plus démuni. Tout ceci s’estompera par la venue d’unités neuves et plus puissantes, d’où programmation de marées continues. Le temps sera forcé à l’extrême. Le poisson se raréfiant, il faudra explorer de nouveaux fonds générateurs de difficultés supplémentaires qui durciront le métier. Vingt ans ! … La « Royale » présente ses obligations et s’il n’y a pas d’échappatoire, impose une tranche de vie de durée incertaine compte tenu des péripéties politiques du moment. Les obligations sont généralement bien acceptées, peut-être par le port d’un uniforme de prestige ou l’espérance de beaux voyages ou encore de quelques nouvelles découvertes qui modifieront la vie après le service militaire.

Force physique et morale pour devenir Bosco

Un matelot pêcheur expérimenté peut prétendre avec l’aval du patron à une place de bosco. Il lui est demandé d’avoir le sens de l’organisation du travail sur le pont. Il a la responsabilité de la qualité et de la conservation du poisson, celle du treuil qui doit être manœuvré avec prudence –celui-ci pouvant être à l’origine d’accidents mortels. Il devra souvent écourter son repos pour que le matériel soit prêt. Certains patrons passeront par cette formation. La fonction de bosco (mal rétribuée) révèle de grandes qualités physiques et morales chez un homme qui résiste à ce poste de longues années. Certains patrons intervenant auprès de l’armement pourront leur obtenir un supplément de paie.

De lourdes responsabilités pour le Patron, dit "le singe"

Le patron est appelé familièrement « le singe » par l’équipage. Pour accéder à ce poste, il faut être muni d’un brevet de la marine marchande qui sera délivré après l’obtention d’un examen. Ce dernier se prépare pendant six à neuf mois ou plus . En cas d’insuccès dans une école de navigation et la reprise du chemin de l’école n’est pas chose facile après une longue interruption. Il faut se constituer un pécule, parfois s’endetter car aucune faveur de traitement ou autre avantage n’est à espérer. Il y a bien quelques armements qui proposent des arrangements mais non sans arrière pensée, aussi faut-il savoir refuser pour conserver son indépendance. Les courtisans seront nombreux au seuil de la réussite permettant parfois au patron de négocier son salaire. L’âge requis pour le commandement à la pêche et ses lourdes responsabilités est de 24 ans, une dérogation pouvant être accordée à 23 ans suivant l’importance du bateau. Le nombre de marins formant l’équipage est compris entre 9 et 18 hommes. Sans expérience, un surcroît de travail est prévisible d’où quelques difficultés à rassembler un équipage de bonne qualité.

On peut aussi exercer avec un équipage expérimenté en remplaçant au pied levé un patron dans l’obligation deYves Joncour débarquer, avec peut-être des hommes proches de la retraite qui auront pu être, en leur temps, vos éducateurs, ce qui peut provoquer des situations délicates à gérer. Les débuts sont d’une forte tension, certains patrons parviennent à se maîtriser, d’autres moins calmes, expriment leur nervosité par des « coups de gueule ». Le facteur chance sera le bienvenu. Rares sont les patrons élus pour trente ans. La réussite n’étant pas éternelle, des armements dont la sensibilité n’est pas la vertu première se séparent d’un patron même après de longues années à leur service, le plongeant dans une certaine dépression. Le reclassement n’est vraiment pas évident. Aux ponts et chaussées et dans la vie portuaire, les places ne sont pas légion. On peut également continuer la pêche comme matelot ou bosco pour pouvoir rester sur place ou se diriger vers la marine de commerce ou l’exil en Afrique où sont encore sollicités les patrons de pêche français.

 

     Trois corps de métier composent cette industrie de la pêche : armateurs, mareyeurs et marins. Les principaux acteurs sont bien sûr les marins pêcheurs sans lesquels rien ne serait possible mais faute d’avoir su s’unir, ils ne sauront s’imposer. Cette profession aura du retard sur l’avancement des progrès sociaux de deux à trois décennies – si les gens de mer avaient été payés à leur juste valeur, ils seraient sans doute des retraités comblés.  A la fin de ce siècle le marin pêcheur français devient un personnage rare. A qui la faute ? On parle de plus en plus de la disparition de la ressource mais n’est-elle pas le fait de la course au rendement exercée dans tous les ports industriels de la Manche à l’Atlantique ?

 

Texte d’Yves Joncour

Ville de la Rochelle Musée DRAC Poitou Charentes FAR Ami du musée