Fiche du témoin

Yves Joncour

Yves Joncour est né en 1929 à La Rochelle de parents bretons. Sa mère était originaire de l’ile de Groix et son père de Tréboul.  Sa vie active débutera à 14 ans comme mousse sur le Jouet des flots pour terminer sa carrière sur le Fomalhaut qu’il commandera pendant 18 ans… A la retraite, il continue à s’intéresser à la pêche et écrira plusieurs textes et ouvrages en particulier  « Drames de mer 1939-1945 en Charente-Maritime ».

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Grève de 1968 : réunion du 29 mai

D'après le Fonds Honoré Picot, Chef mécanicien

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Réunion des marins et d'un groupe d'armateurs à la Halle à Marée

 

Réunion privée à 16h. Elle commence à 16h30 et groupe environ 500 personnes.

Entrée en action de M. Menu, armateur, qui se félicite qu’un si grand nombre de marin soit présent et précise que cette réunion à lieux sans aucun but politique, mais seulement en se préoccupant de la situation actuelle  du fait de la grève générale.

Il considère que cette réunion est une prise de contact afin de mieux se connaître et de comprendre ensemble les problèmes de chacun sans esprit de partie ; mais avec un esprit d’hommes nouveaux pour tous les problèmes actuelles. Abordant le problème des revendications en analysant les conditions qui ont été soulevées à l’armement. M. Menu précise que ces revendications ont fait l’objet d’une note qui a été remise à chaque marin par l’entremise de ses collègues armateurs. Ces revendications sont souvent justifiées  mais  pas  toujours facile à mettre en application. Admet qu’il existe des problèmes particuliers à La Rochelle et insiste sur le fait que les équipages n’ont jamais dialogué directement. Aujourd’hui, il leur est possible de le faire. Note que les pouvoirs publics laissent l’Industrie de la pêche en attente contrairement à l’agriculture. Qu’il serait possible de discuter certains points particuliers qui permettraient peut-être une meilleure exploitation et des salaires plus justes. Alliance possible des marins et de l’Armement sous certaines conditions pour faire aboutir leurs revendications et celles des armateurs.

A l’approche du marché commun, nous devons être solidaire les uns des autres, les revendications générales dans la France entière sont justifiées mais le cas des marins est bien particulier : précise qu’en cas de bonne pêche les rémunérations peuvent être satisfaisantes, mais qu’en cas de mauvaise pêche c’est le néant. Il reconnaît que les armateurs trouvent cela anormal et qu’il est bien d’accord pour tenter de trouver une solution à ce problème. Il  insiste sur le fait que les Armateurs aimeraient être informés des raisons de cette grève et précise que  les ports de Lorient, Boulogne et Concarneau ne soit pas touchés pas cette grève.

 

16h37

M. Bobinec, secrétaire du syndicat des marins, constate  que le dialogue est ouvert parce qu’il y a la grève et n’est pas d’accord avec M. Menu sur le bilan d’exploitation qui a fait l’objet de la note aux marins du 24 mai et exprime du doute sur la valeur des chiffres qui ont été avancés. Le principal problème étant pour lui le prix très instable du poisson et considère que seul il a tenté à différente reprise de remédier à cet état de chose sans être suivi en cela par les armateurs qui dans de nombreux cas sont aussi mareyeurs.

Il considère que seuls les marins travaillent et que le travail qu’ils fournissent est insuffisamment rémunéré. Chaque fois que les prix baissent on accuse le temps, les transports, les apports trop important, les jours fériés, les fins de mois… Les marins sont las de cette situation et il est grand temps d’y remédier. Les employés des armateurs bénéficient des jours fériés, pas les équipages, pourquoi ?

En ce qui concerne le travail des marins Boulonnais et Concarnois et Lorientais, il précise que ce n’est pas du tout certain et certifie que la grève en France est absolument générale.

Quand nous sommes en grève on nous connaît, quand nous ne sommes pas en grève on nous oublie.

 

16h43, M. Auger, armateur

Il rappelle les contacts qui ont eu lieux entre M. Bobinec et M. Bobinec pour la mise au point des nouvelles conditions et précise que ces conditions ont fait l’objet d’une proposition de la part du syndicat des Armateurs. Quand aux problèmes du marché des poissons, il est toujours en cours d’étude et que sa mise au point est très difficile du fait de sa complexité. Il reconnait que nous ne sommes pas représentés à Bruxelles mais il  exprime l’espoir que tout sera fait pour cela. La grosse difficulté réside dans le fait que le poisson est une denrée périssable.

 

16h50, M Menu, armateur

Exprime son impression que M. Bobinec l’attaque directement au sujet du rapport qu’il a dressé en conférence. Cette solution n’avait jamais été envisagée auparavant. Ses comptes ne sont pas truqués et il propose qu’il soit contrôlé  par qui voudra. Proposer à M. Bobinec qu’il aille lui-même vérifier ses comptes d’exploitation ou qu’il désigne pour  le faire un comptable de son choix qui aurait la confiance des marins.

M. Menu s’étend notamment sur le prix du matériel de pêche qui, dans l’exploitation, entre pour une valeur importante.

Jean Joncour, patron du Béarn dit que l’Aunis est bon à mettre à la ferraille et qu’il ne faut pas en parler, il précise que quand la dorade est vendu 100F à l’Encan elle est revendu au marché 500F.

 

17h M. Sanquer

Précise que les différents problèmes qui viennent d’être discutés tel que le prix du poisson, marché commun, salaire garantie, l’appauvrissement des fonds, ont fait l’objet de rapport de plusieurs entretiens  avec les marins et la Marine Marchande lorsqu’il était le Président du syndicat des armateurs, voici dix ans. Rappelle qu’il connaît parfaitement les différents problèmes des marins étant lui-même ancien marin et précise que durant l’évolution de la pêche, les marins ont le plus grand intérêt à être syndiqué pour la défense de la profession et la sauvegarde de leurs intérêts. Conseille d’être unis avec l’Armement dont sur de nombreux points les problèmes se rejoignent. Rappelle notre position à l’approche du marché commun et exprime le regret que l’on ne parle jamais de la pêche à Bruxelles. Exprime sa conviction en disant  « si vous et nous sommes unis alors on parlera de nous ».

Cette proposition ne peut être réalisée qu’à condition d’être syndiqué. Sans syndicat pas de réussite. Evoquant le problème de la garantie des salaires à bord des chalutiers naviguant à la part. M. Sanquer considère que la plus part de ses collègues armant à la part ne pourront pas assurer cette garantie et le désarmement de certains chalutiers pourrait s’accélérer. Il est évident que nous allons vers le socialisme, qu’il est susceptible de renverser la vapeur et que les armateurs seront dans l’arène plus que jamais solidaire des patrons et des équipages qui doivent travailler à l’œuvre commune pour entrer dans l’économie de demain, dans votre intérêt et termine en disant que « nous avons besoin de vous ».

 

17h10

Le patron de Roussillon explique sa surprise que l’armement auquel il appartenait faisait payer le gasoil au prix fort aux équipages réalisant aussi un bénéfice sur le dos des marins.

M. Bobinec explique que cet armement étant disparu, personne ne peut vérifier les comptes. Il précise toutefois qu’ils sont prêts à vérifier ou faire vérifier par une personne compétente les comptes d’exploitation de M. Menu.

 

17h14 M. Menu

Rappelle ce qu’il a déjà dit et écrit à ce sujet et donne son accord pour que cette vérification puisse s’effectuer. Demande à ce que l’on rediscute sur cette fâcheuse affaire de gasoil concernant cet armement disparu. Précise bien que « nous sommes ici pour tenter de mettre au point les revendications professionnelles exclusivement sans aucunes idées politiques ».

 

17h17 Mme Marin

Dit que le mouvement de grève a été mis en route par 38 marins et qu’en conséquence si les revendications de l’ensemble des marins sont satisfaites ils le devront à leur camarade, ils auront donc à rembourser à la CGT les frais qu’elle a engagés.

 

17h20 M. Bobinec

Le payement des journées de grèves devra être réalisé à l’aide des ressources du F.R.O.M qui se montrent à près de 50 millions. Les Boulonnais ont perçu un milliard de l’état pour l’ensemble de l’industrie de pêche, nous les Rochelais nous n’avons qu’à en faire autant. Plusieurs voix s’élèvent dans la salle pour qu’il soit procédé à un nouveau vote pour savoir si la grève doit continuer ou s’arrêter. M. Bobinec précise que la première fois, c’est-à-dire le mardi 21 mai, la grève a été déclaré par X voix contre X et qu’elle a été confirmé le mardi 28 mai dans la salle de l’Oratoire par X voix contre X, que la grève est générale dans toute la France pour de nombreuses raisons et que les inscrits maritimes sont associés à ce mouvement pour obtenir de meilleures conditions de travail, une retraite plus forte pour les basses catégories, une retraite décente aux veuves et aux orphelins. Si le poisson du Thierry a été invendu ce sera au F.R.O.M de partager le déficit.

 

17h23

Le Chef mécanicien du Chassiron demande à ce que tous les problèmes du moment soient exposés mais précise que les armements, avec les difficultés du moment, ne pourront pas toujours payer.

 

17h24 M. Menu

Confirme que les ventes seront remboursées avec l’aide de la caisse du F.R.O.M et que des dispositions ont déjà été prises à cet effet après accord de M. l’administrateur des Affaires Maritime, M. Bobinec et le Syndicat des armateurs. Il précise que durant la situation actuelle, il est tout à fait d’accord pour réclamer l’aide de l’état tout comme les Boulonnais  l’ont fait. Comme M. Sanquer l’avait déjà fait, il confirme la réussite pour les marins d’être syndiqué en précisant toutefois qu’il existe de nombreux  syndicats. Rappelle le vote du mardi 21 mai  où seulement 38 marins sur un effectif de 700 ont entraîné leur camarade à la grève.

 

17h30, M. Gaury

En se présentant  M. Gaury rappelle qu’en tant que président du Syndicat des armateurs, qu’il est bien connu de tous et qu’il est remplacé en ce moment M. Bobinec, en ce qui concerne les chalutiers armées au minimum garantie. Précise que M Bobinec avait adressé ses propositions aux Syndicats des armateurs et que des autres propositions ont été adressées à M Bobinec. Il expose la parité des armateurs au minimum garantie et cite les chiffres qui ont été soumis à M. Bobinec. Comme la chaudrée est comprise dans le salaire M. Menu demande à ce qu’en aucun cas elle ne soit attachée au salaire. M. Gaury admet le principe et y réfléchira. M. Bobinec intervient et expose rapidement son point de vue. M. Gaury aimerait avoir un compte tenu des propositions qu’il veut faire et des modifications qu’il a l’intention d’apporter. La grève continuera quand même malgré l’accord qu’il aura eu avec ses équipages.

 

17h39 M. Auger

Revient sur le problème des godailles un peu lourde qui, du fait de leur importance, plusieurs tonnes, fausse souvent les cours à l’Encan car ce poisson est commercialisé dans un circuit parallèle à des cours souvent très inférieurs à ceux pratiqués à la halle à marrés. Il serait souhaitable que pour tous les chalutiers les godailles soit vendu à l’Encan et le produit de la vente est ensuite repartie à chaque marin comme cela se fait depuis longtemps pour les marins au minimum de garantie.

M. Gaury reprend la parole, précise que pour lui avec ses marins au minimum garantie, il n’y a pas de problème majeur. Chaque patron étant responsable à l’arrivé au port de la distribution d’une petite godaille destinée à la consommation familiale, elle est composée d’environ 5 kilos de poissons comprenant dorade, triage et limande et n’a jamais donné lieu à aucune observation de sa part. Cette discussion continue avec la remarque de M. Groumelec qui demande pourquoi à l’armement d’Auger l’équipage fait 13 parts et la 13ème étant destiné au capitaine d’armement. Les équipages d’armement ont trop de poissons dit-il.

M. Auger reprend la parole dit qu’il est opposé à cette pratique et qu’il est souhaitable que l’ensemble des godailles soient vendu à l’Encan. Souvent la faiblesse des apports ne permet pas aux navigateurs de trouver à l’Encan les triages nécessaire à leurs clientèles. Ce poisson étant en majorité commercialisé au marché parallèle, la vente à l’Encan permettrait aussi une meilleure rémunération des godailles chacun sait que le taux d’achat sur les quais sont toujours plus faibles qu’à l’Encan.

Cette discussion prend fin avec l’intervention de M. Groumelec, patron de pêche, qui précise que nous nous éloignons du sujet de la réunion qui avait été présenté pour savoir à la suite d’un vote si oui ou non les marins reprendraient la mer.

 

17h55 M. Gaury

Rappelle les entretiens qu’il a eu à Paris avec la Marine Marchande au sujet du conditionnement et que ces démarches qu’il a accomplies en compagnie d’un ancien patron de la place n’ont aboutis à rien. Il met en garde tous les professionnels de la pêche sur l’appauvrissement des fonds et précise que si aucune des propositions n’a été retenue elle est due à l’opposition des pécheurs artisans. En terminant, il dit qu’il faut parfois savoir se couper un bras que laisser tout le corps en vie. M. Menu enchaîne et demande à M. Bobinec  si satisfaction était donnée aux revendications des marins, les départs seraient assurés ce qui lui semblait maintenir du fait des accords intersyndicaux entre les marins et les employés de marée.

 

18h M. Bobinec

Expose son point de vue sur cette importante question en précisant que sur le plan local la grève se termine, sur le plan national elle ne se terminera pas tant que les revendications concernant la Marine Marchande ne soient pas satisfaisantes. La discussion du travail doit être faite en accord avec les autres ports. Invoque les taux très bas de l’indemnisation lorsqu’un marin est hospitalisé, le taux trop faible de l’indemnisation de vivre et de la prime de fonction du lieutenant de pêche que l’armement devrait aider du fait de la nécessité de la formation des jeunes patrons et du renouvellement des cadres de la pêche.

M.Bobinec s’étonne que l’Imbrim et le Capitaine Quémerais arrivent à La Rochelle avec des équipages ételois et ils n’ont pas donnée de leurs nouvelles. Il est précisé qu’en aucun cas ils ne seront autorisés à vendre le produit de leur pêche à la halle à marré de La Rochelle, les syndicats s’y apposant de la façon la plus formelle.

S’élève contre cette pratique d’armée des chalutiers rochelais par des Etelois et précise qu’il est au courant de certaines démarches qui ont été faites en haut lieux pour l’embarquement des marins Portugais à la pêche industrielle.

 

18h05 M. Menu

Evoquer le problème du manque d’information souvent préjudiciable à l’ensemble de la profession et propose que les syndicats des armateurs s’orientent vers un programme d’information à l’attention des marins :

Puis M. Auger propose une réunion prochaine pour organiser les départs dans l’attente de la fin des évènements en cours.

 

18h10 M. Gaury

Précise que les armateurs et les marins soient tributaires de la cessation de la grève des employés de la halle à marin et de ses employés de mareyeurs fait ressortir les accords qui auraient été signés entre le syndicat de ses employés et M. Bobinec.

Pense qu’une solution sera trouvée à ce conflit préjudiciable à tous. M. Menu espère que la situation sera éclaircie pour le mardi 4 Juin et que dans ce cas les chalutiers pourront reprendre la mer. Pour cela il faudra bien entendu, organiser les départs en accord avec les marins.

Invoquant le nombre important de marins présents à cette réunion, M. Menu demande à ce qu’il soit immédiatement procédé à un vote pour ou contre la continuité de la grève en considérant les propositions faites par les armements.

 

18h18 Chef Chassiron

Explique que les marins pourraient reprendre la mer sur ces bases et continuer à dialoguer avec l’armement. M. Bobinec réplique en insistant sur le fait des revendications nationales à satisfaire avant toutes choses plusieurs voix s’élèvent dans la salle pour réclamer un vote sans délai. M. Bobinec confirme son accord pour ce vote et précise à nouveau que ces journées de grèves seront payées.

 

18h23 M. Gaury

Rappelle qu’en 1963 la grève a été déclenchée par les marins et qu’aucune indemnité n’a été versée aux grévistes tant par l’A.S.D.I.C que par la caisse de chômage. Si cette grève n’avait pas été déclenchée par M. Bobinec les marins auraient été indemnisés du fait de la grève des employés de la halle à marée qui, occupant l’Encan leur interdisait de débarquer avec leurs poissons.

M. Sanquer prend la parole. Il précise que si les marins veulent voter immédiatement il met à leurs dispositions le papier, les enveloppes et le matériel nécessaire.

 

18h25 M.Cozou, chef mécanicien du Fram demande l’annulation du vote précédent et propose le vote immédiat pendant que les marins sont nombreux à cette réunion.

 

18h30

M. Bobinec propose de constituer un bureau et précise que le scrutin sera ouvert  à la halle au marrée de 10h à 12h le lendemain : Vendredi 30 Mai.

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