Fiche du témoin

Erwan Jégo

Quand il va sur les quais, Erwan Jego aime à aller voir « son » bateau. Il fut capitaine du Saint-Gilles, remorqueur portuaire et de haute mer, navire de la flotte patrimoniale du Musée Maritime de La Rochelle. Il est heureux de le voir à flots à couple du France I et rêve de se retrouver à la passerelle pour prendre le large. La mer, il ne l’a pas quittée puisqu’il pratique le kite surf par tous les temps…

Navires

Version imprimable

Erwan, viens me chercher !

Je commandais le Saint-Gilles et nous allions chercher un cargo qui passait la bouée Richelieu. Il était chargé de bois et allait accoster au môle d’escale. Nous avions pris une remorque devant et une remorque derrière. Après avoir évité, c’est à dire après avoir tourné le bateau de 180 degrés -il est parfois nécessaire de tourner le bateau pour qu’il soit cap au courant ou tout simplement pour des raisons commerciales par rapport à son amarrage au quai- le pilote nous donne l’ordre de larguer la remorque pour venir pousser. Le remorqueur pousse avec son avant sur la coque du remorqué afin de le maintenir à quai le temps qu’il finisse son amarrage. C’était la nuit, il était 2 h du matin en plein hiver et il fallait faire très vite pour aller pousser le bateau, car il y avait des coefficients de marée qui étaient importants et donc, beaucoup de courants le long du môle d’escale. Dans ces cas là, le navire remorqué a tendance à avancer ou reculer sous l’action du courant tant que ses amarres ne sont pas raides. On a largué la remorque, on a fait un grand arc de cercle, en route toute ! Quand je me suis pointé à 45° pour pousser le bateau, il avait déjà envoyé son amarre de devant et derrière et commençait à virer doucement pour accoster le bateau. Les marins sur le pont du remorqué raidissent en effet les amarres avec les treuils d’où le terme maritime employé « virer les amarres ». Le pilote me dit « Erwan, tu pousses ». J’arrive ! Pas de problèmes ! Alors que je me trouvais à environ 3 fois la longueur du remorqueur à une centaine de mètres du cargo, mon chef mécanicien arrive à la passerelle alors qu’il aurait dû être à son poste à la machine. Mon chef était monté à la passerelle en quatrième vitesse pour m’avertir  « Erwan, ne compte pas sur la marche arrière, il n’y a plus de marche arrière… ». J’ai cru que je n’entendais pas bien ce qu’il me disait et je lui fais répéter : « il n’y a plus de marche arrière, Erwan ! ». Roger et Serge étaient sur le pont près du guindeau. Le guindeau est un appareil sur l’avant du remorqueur servant à virer les amarres et à mouiller l’ancre. Robert Giraud était au croc.  Le croc, c’est le crochet de remorquage sur le pont arrière sur lequel est fixée la remorque lorsque que l’on tire les navires. Il est muni d’un système de déclenchement rapide pour larguer la remorque en catastrophe quand le remorqueur est en danger.  Un matelot se tenait donc toujours près du croc pour pouvoir le larguer rapidement en tirant sur la poignée. J’ai demandé à mes gars, Roger et Serge qui étaient près du guindeau de mouiller la pioche (NDLR : l’ancre) bâbord et de larguer tribord. J’ai mis la barre bâbord toute. Le bateau est venu à l’épaulée le long de la coque du navire. J’ai fait affaler (NDLR : descendre, amener) l’échelle (NDLR : la grande échelle placée sur le côté servait principalement à embarquer et débarquer à quai) du remorqueur sur la pontée de bois du bateau. J’ai dit à Roger Geoffroy « Montes à bord, on va s’amarrer au cargo ». Quand mon gars est monté, le remorqueur a écarté du cargo et le gars Roger  a sauté à bord du cargo. Il n’avait pas suffisamment de force pour enjamber les pavois et il est resté pendant le long de la coque du bateau. Mon Roger m’appelait à 2 h du matin « Erwan, viens me chercher, j’en peux plus, je vais larguer, je vais tomber à l’eau, Erwan, viens me chercher ». La machine en panne, je ne pouvais plus manœuvrer, alors j’ai embarqué sur l’échelle et j’ai fait choquer les pioches. J’ai embarqué sur l’échelle, le remorqueur s’est rapproché du cargo et j’ai sauté à bord sur la pontée, j’ai couru sur la lisse qui n’était pas large, une lisse de bateau, ça fait 30 cm à peine, j’ai marché sur une vingtaine de mètres, j’ai récupéré mon gars et je lui ai donné un coup de main pour enjamber le pavois. C’est sûr que s’il avait lâché, j’aurai été chercher mon homme entre les deux bateaux… Ca, c’était clair et net, il n’y aurait pas eu un mort, il y en aurait eu deux ! Mais tout le monde a été récupéré sain et sauf et sans casse, ni pour le remorqueur, ni pour le remorqué.  Le pilote a été mis au courant de l’histoire après coup : nous n’avions pas eu le temps de communiquer par VHF car il fallait faire très, très vite pour récupérer cet homme. C’est une jolie histoire qui est passée aux oubliettes comme ça …comme si de rien n’était.

Récit recueilli aux Journées « Alors, raconte ! » 2004.

 

Ville de la Rochelle Musée DRAC Poitou Charentes FAR Ami du musée