Fiche du témoin
Pierre Frioux
Pierre Frioux, dit Pierrot a connu très jeune les drames de la mer. Son grand-père et son père périrent en mer au large de la Gironde. On pense que leur bateau a percuté une mine anglaise. C’est ainsi qu’il obtiendra une dérogation pour embarquer comme mousse sans passer par l’école des mousses. Il aimait ce métier de marin-pêcheur et ne choisira de le quitter qu’à la demande de son épouse qui vivait dans l’angoisse lors des marées suite à la disparition de deux de ses collègues. Il travaillera 26 ans sur la drague TD6 et jeune retraité, aimait à donner la main aux patrons pour ramender sur le quai.
De la pêche à la drague
Ma carrière a démarré à la pêche en 1948, à 14 ans. Je n’ai pas fait l’école des mousses, j’ai embarqué directement sans faire l’école des mousses parce que, dans la même année, mon père et mon grand-père se sont perdus au large de la Gironde. On suppose qu’ils ont sauté sur une mine. J’ai obtenu une dérogation pour pouvoir embarquer tout de suite étant donné que j’étais presque soutien de famille. Ce métier me plaisait. Déjà quand j’étais écolier, j’allais traîner le jeudi sur les quais pour voir les bateaux. Je me suis marié en 57. A cette époque, j’étais sur un petit bateau et on avait perdu un homme. Je l’ai vu tomber à l’eau mais je n’ai pas pu le retenir. Ca a fait peur à ma femme : elle ne voulait plus que je navigue. Déjà, elle en avait assez des séparations et de vivre dans l’inquiétude. Avant cet accident, on avait perdu un gars qui s’appelait Pierrot comme moi. Mon beau-père était allé voir ma femme en lui disant qu’il y avait eu un pépin mais qu’on ne savait pas quel Pierrot était concerné. Elle avait commencé à me dire qu’il fallait que j’arrête. Moi, je ne savais pas faire autre chose que marin et j’aurais bien continué à la pêche… Un jour, j’étais sur le quai pour aider aux réparations de l’André-Marie qui venait de se prendre une branlée. Le capitaine d’armement des Ponts et Chaussées passait par là. Le patron qui le connaissait lui a demandé si par hasard il ne manquait personne sur la drague. Il manquait un matelot. C’est comme ça que j’ai embarqué sur la drague en 61 pour 27 ans de boulot. La plupart de ceux qui ont était sur drague avaient fait la pêche avant. A la drague, ce n’était pas du tout la même vie. On pouvait rentrer tous les soirs à la maison. On voyait les enfants grandir. J’ai commencé comme matelot avant de passer mon capacitaire et d’embarquer comme maître d’équipage. Les conditions de travail étaient plus satisfaisantes sauf qu’on gagnait moins bien notre croûte qu’à la pêche à l’époque. Quand on était dans le chenal à draguer, des anciens collègues nous criaient « tu viendras demain matin nous chercher un poisson ». Ca n’a pas duré longtemps. Quand la pêche a commencé à décliner, il n’y avait plus de copains ! Certains marins pêcheurs nous appelaient « les feignants » mais ils étaient bien contents de trouver le chenal pour pouvoir passer. Quand il était bien dragué, ça permettait de rentrer d’une demi-heure à trois quarts d’heure plus tôt.