L'Armement Horassius
Fils d’un capitaine d’armement de l’A.R.P.V. (Association Rochelaise de Pêche à Vapeur), Georges Horassius prend le relai de son père. Fait prisonnier par les troupes allemandes en 1940, il est libéré à la fin de la guerre et revient à La Rochelle. Il se met à son compte en 1945[1] en devenant gérant de deux petits bateaux de pêche, le Coligny et le Rochella, propriétés de sociétés quirataires.
Il rencontre M. Onfroy et sa sœur Marguerite[2], qui épouse le Docteur Frezoul[3]. Ils font construire deux chalutiers, grâce aux dommages de guerre touchés en compensation d’une « barquasse » coulée : le Flux et le Reflux. Ils confient la gérance de ces chalutiers à M. Horassius.
M. Horassius, gérant de chalutiers propriétés de sociétés quirataires
M. Horassius gére jusqu’à 10 chalutiers dans les débuts des années 1960, dont un navire de M. Marcaillou, le Saint Patrick (un 44 m)[4]. Il est aussi chargé de gérer, dans les années 1950, les Amis, un chalutier propriété d’une société quirataire d’enseignants et retraités de l’Education Nationale. M. et Mme Onfroy achètent également l’Echo et l’Unda, puis le Vega et le Fomalhaut, propriétés de sociétés quirataires de type familiale. Mme Onfroy lui confie la gérance du Pelago, dont elle est la propriétaire. M. Horassius gère aussi le Gascogne, navire acheté à M. Jean-Claude Menu, de l’A.R.P.V. et propriété, la encore d’une société quirataire. D’autres sociétés quirataires confient la gestion du Blizard, du Pomone (un petit chalutier en bois) ou encore du Clapotis. Dans les années 60, l'armement gérait deux navires de recherche de l'IFP, le Florence et la Petite Marie Françoise.
Les sociétés quirataires, une formule souple et discrète.
De l’arabe qirât, sorte de petit poids, un quirat est, en droit maritime, une part d’un navire indivis. Lorsqu’un navire n’appartient pas à une seule personne, mais à plusieurs, on le suppose décomposé en un certain nombre de parts égales appelées quirats, et les divers copropriétaires le sont pour un quirat, ou pour deux, ou plus[5]. Raimond Fresquet[6], en 1871, précise une définition juridique et économique de ce système « de la copropriété des navires ». Elle est amenée « par la grande valeur qu’ils – les navires – représentent : les armateurs veulent souvent diviser les risques » ; ils prennent des intérêts dans divers armements. C’est une « société sui generis », car il y a « indivision entre les cohéritiers », en cas de succession. Mais cette société a nécessairement un caractère commercial, selon l’article 633 du Code commercial. « C’est une sorte de participation », dit R. Fresquet. Le caractère d’indivision entraîne « solidarité » entre les copropriétaires.
Une société quirataire s’organise donc autour d’un navire. Chaque copropriétaire possède un droit réel sur celui-ci. La même structure peut se retrouver pour plusieurs navires, avec les mêmes associés[7]. Mais, on considère juridiquement qu’il y a autant de sociétés de quirataires que de navires. Les quirataires peuvent être des personnes physiques ou des personnes morales. Il s’agit d’une copropriété d’un type particulier, puisqu’elle est régie par la règle de la majorité, au prorata des intérêts investis. Toutefois, cette majorité doit respecter le but de la société, qui est d’exploiter le navire et respecter les droits individuels des quirataires.
La gestion de la société quirataire est souvent confiée à une ou plusieurs personnes copropriétaires ou étrangères à la copropriété. Dans le premier cas, il s’agit d’un armateur gérant qui, s’il est désigné par l’accord initial, n’est pas révocable, sauf en justice ; désigné au contraire par la majorité, il est révocable par cette même majorité. Le gérant à tous les pouvoirs, pour agir dans l’exercice de sa mission de gestion au nom de la copropriété en toutes circonstances. Il ne peut toutefois disposer du navire, ni l’hypothéquer, sauf accord d’une majorité des quirataires[8].
Quant aux associés, ils ont le droit d’être informés de la vie de la société, de prendre part aux délibérations et, sauf clause contraire du contrat sous seing-privé initial, de céder leurs parts[9]. Ils peuvent l’hypothéquer, avec l’accord de la majorité des quirataires. Ils participent évidemment aux bénéfices de la société. En contrepartie de leurs droits, ils sont solidairement responsables, mais dans la limite de leurs apports.
Les sociétés quirataires, une formule très utilisée à La Rochelle
Ces sociétés quirataires se développent fortement à La Rochelle au lendemain après la Libération. Elles permettent de placer des capitaux dans la pêche industrielle, sans avoir à connaître le métier de la pêche et à intervenir directement dans la gestion des chalutiers et en ne laissant apparaître que le nom du gérant, comme l’est alors M. Horassius. Les lois de 1965 et 1967 remettent en cause la rentabilité et la discrétion de ces sociétés quirataires[10].
L'armement Horassius en 1960
Henri Moulinier
Doctorant en histoire
[1] Morlier Michel, capitaine d’armement chez M. Horassius de 1955 à 1974, entretien le 10-12-2012. Toutes les informations données dans ce texte sont de lui.
[2] M. Onfroy est alors agent immobilier
[3] M. Frezoul est médecin à Paris
[4] M. Marcaillou est patron d’une Société de transport des Sables-d’Olonne
[5] Dictionnaire Littré, http://dictionary.sensagent.com/quirat/fr-fr/
[6] FRESQUET Raimond Frédéric (de), Du navire, esquisse de droit commercial maritime : articles 190 à 196, 216 à 220 du Code du commerce, Aix, 1871, A. Makaire, pp. 46-49, B.N.F., département Droit, économie, politique.
[7] MORDREL Louis, Les institutions de la pêche maritime : histoire et évolution, Thèse de doctorat : droit, Paris 2, 1972, C.E.A.S.M.
[8] Idem
[9] Selon la loi du 10 Juillet 1885, article 3.
[10] Moulinier Henri, L’importance des sociétés quirataires à La Rochelle et la rupture fiscale de 1965-1967, www.histoiresmaritimesrochelaises.fr, « Thématiques »