Henri Moulinier : « Les chalutiers rochelais » de Fernand Castaing
Jacques Castaing, dit Fernand, est né le 10-7-1898[1] à Gujan-Mestras (Gironde), Il commence sa carrière comme mousse, à 11 ans, puis matelot, avant de devenir un authentique patron de pêche, « commandeur d’un chalutier à vapeur à 24 ans »[2] et de s’installer à Royan. Patron de la Georgette, il participe, en 1905, au sauvetage d’un quatre mâts de l’armement Borde, le Gers[3], qui s’échoue non loin de l’Ile de Ré, avec 33 hommes à son bord et une mer démontée. Ce fait d’armes n’est pas le premier : en 1874, il porte secours à un équipage en perdition dans la rade du Verdon . Il sauvera ainsi des vies à six reprises et sera nommé Chevalier de la Légion d’Honneur en 1921[4].
Un homme de courage, mais aussi un homme d’argent…
Il arrive à La Rochelle en 1901, comme simple patron de pêche. C’est « un homme de courage (…), mais aussi un homme d’argent – dans le bon sens du terme » disent ses petits enfants : dès son arrivée, il instaure une sorte de minimum garanti à ses matelots. En 1907, il fait construire un bateau neuf à Saint-Nazaire, la Ginette. En 1909, il fonde un armement : la Coopérative des armateurs. A la Georgette et la Ginette, viennent s’ajouter le Phoque, l’Espéranza et le Sirena. Cet armement avait son magasin de mareyage et expédiait la pêche de ses chalutiers.
Pendant la Guerre de 1914-18 et la réquisition de ses meilleurs chalutiers, il poursuit l’exploitation de ses vieux chalutiers. En 1918-1919, avec le retour de ses grands chalutiers et l’acquisition de nouveaux bateaux, Fernand Castaing transforme la Coopérative des Armateurs en Société Anonyme des « Chalutiers de La Rochelle », qu’il dirige. Comme l’armement Dahl, cette société intègre des activités annexes à l’exploitation de chalutiers. Elle a son propre mareyage, mais aussi sa glacière et son atelier de mécanique et de chaudronnerie, une menuiserie charpenterie de marine, une usine de traitement des déchets de poisson à la Ville en Bois (actuellement la médiathèque Michel Crépeau). En 1926, la partie mareyage et fabrication de caisses en bois s’installent dans une pêcherie construite sur le quai est du bassin des chalutiers, comme les autres armements.
Entre les deux guerres, son armement possède jusqu’à vingt chalutiers. Ils portent des noms d’oiseaux : Avocette, Bartavelle, Bernache, Casoar, Damier, Eider, Harle, Héron, Hirondelle, Imbrim, Palombe, Pélican, Picorre, Pingouin, Tadorne, …Mais les navires d’occasion achetés par l’armement ne sont pas débaptisés : Cap Saint-Jean, Esperanza, Les Frères Coquelin, Ginette, Le Joselle, Menhir, Myrus. Le Nord-Caper, premier du nom avait pris, pendant la première guerre mondiale, une goélette turque à l’abordage en Méditerranée. Le second Nord-Caper a été le premier chalutier de pêche arrière de la société, en 1967[5].
La deuxième Guerre mondiale perturbe, elle aussi, l’activité de l’armement Castaing. A la fin du conflit, la majorité de ses bateaux sont coulés. Il n’a plus que cinq à six bateaux à vapeur entre 45 et 50 mètres. L’Etat lui accorde comme dommages de guerre deux grands chalutiers à moteur diesel de 42 mètres. Il en fait construire deux et en achète d’autres pour reconstituer sa flotte[6].
En 1935, Fernand Castaing fait construire à Bordeaux le Casoar, un chalutier équipé d’un moteur diesel de 1 350 chevaux. C’est une unité de 53 mètres, destinée à aller pêcher sur les côtes de Mauritanie et du Maroc. Mis à l’eau en 1936, c’est le plus grand chalutier diesel français, témoigne Elian Castaing[7]. Mais en faisant construire le Casoar, l’armement fait le mauvais choix en termes de longueur. « Il a dû voir un peu grand, je pense, car c’était un bateau qui n’a vraiment jamais marché comme on l’avait espéré : selon le mode de pêche, il était soit un peu trop grand, soit un peu trop petit » dit Elian Castaing.
Avec la crise et le déclin de la pêche industrielle à la fin des années 1970, l’armement Castaing essaie de se maintenir, alors que d’autres renoncent et vendent leurs bateaux. Mais certains navires, tel l’Eider, 45 mètres, finissent par rester amarrer au « quai de l’oubli », en attendant d’être vendus.
L’aventure se termine par un dépôt de bilan en 1981[8]. « Le premier choc pétrolier (…), une erreur de jugement » (un bateau commandé l’année de ce choc, en 1974, arrivé 4 ans plus tard, en plein marasme) précipitent la faillite[9].
Les « Chalutiers de La Rochelle » : une société anonyme
Dans les années 1920, elle comporte 139 actionnaires, possédant 9 336 actions[10].
L’analyse que nous avons faite de l’ensemble de ces actionnaires montre une dispersion des actions, d’autant que seuls 13 actionnaires possèdent plus de 200 actions chacun, soit 9,30 % du nombre total d’actionnaires, alors que 82,10 % en possèdent moins de 100 chacun. 41,70 % sont de petits actionnaires disposant de moins de 20 actions chacun
Les professions, peu nombreuses à être déclarées (30), n’ont, pour l’essentiel, que peu de lien direct avec les activités de la mer et la pêche, à l’exception de 4 armateurs. Le nombre de femmes qui sont déclarées « veuves » est important : 21, soit plus de 15 % des actionnaires. Cela tend à démontrer le caractère d’abord financier – placement d’épargne – de cet actionnariat. Les adresses, connues pour tous les actionnaires, corroborent cette analyse : seuls 24,40 % des actionnaires sont de La Rochelle et de la Charente-Maritime.
Un homme de fort caractère, impliqué dans la vie rochelaise
Nous l’avons dit, il construit sa carrière et son armement à la force de sa volonté et de ses capacités, avec l’aide de son épouse, Marie-Catherine née Maréchal, qui l’a beaucoup aidé, explique leur arrière petit-fils, Elian Castaing. Ils demeurent 43 Rue Réaumur, à La Rochelle. Il meurt à l’âge de 87 ans, en 1961.
Fernand Castaing a eu deux fils, Roger et Robert. Roger est décédé à l’âge de 22 ans, c’est donc Robert qui travaille avec son père. A la mort de Robert en 1952, c’est le fils de Roger, Jean-Jacques qui rejoint son grand-père dans l’armement. Ce dernier est décédé en 1961. Le fils de Jean-Jacques, Elian, a rejoint l’armement en 1972. Après la fermeture, Elian Castaing a participé à l’aventure du Scapiria, ce chalutier de 30 mètres financé par tous les armements, Auger, ARPV, Chalutiers de La Rochelle, Sarma (qui avait repris les bateaux de Dahl), pour essayer de relancer la pêche industrielle. Aujourd’hui, le descendant de l’armement gère des chalutiers immatriculés à La Rochelle, mais financés par des capitaux espagnols, des navires servis par des équipages espagnols[11].
Fernand Castaing aime les honneurs et les responsabilités, écrit Yves Gaubert. Il multiplie les présidences : des armateurs de France, après avoir été président du Syndicat des Armateurs de chalutiers à vapeur de La Rochelle (en 1930), du Stade Rochelais, de l’Amicale du Midi, du Tribunal de Commerce. Il est vice-président du Comité de gestion de la Halle à marée dans les années 1960 Il est vice-président de l’Office Scientifique et Technique des Pêches Maritimes (I.S.T.P.M.) dans les années 1930, conseiller du commerce extérieur et ami intime avec Alphonse Rio, ministre de la marine entre les deux guerres. Localement, il est élu Conseiller d’Arrondissement de La Rochelle, le 13-2-1928. Il se présente alors sous l’étiquette de « candidat républicain, armateur à la pêche, Ancien Conseiller Municipal de La Rochelle, Membre de la Chambre de Commerce, Vice -Président de l’Office Scientifique et Technique des Pêches Maritimes »[12]. Il est élu Conseiller Général le 14-10-1928[13].
Sur le plan social, il créée la Caisse d’entraide des marins péris en mer, qui organise chaque année un arbre de Noël. Il est longtemps membre du Rotary. Il est fait Officier de la Légion d’honneur le 14 -1-1930, tout en n’ayant que « 8 ans d’ancienneté dans le grade de Chevalier », ce qui est légalement une durée insuffisante, lui écrit le Préfet[14], mais il ajoute : « Il me semble qu’en raison des services que vous avez rendu, une proposition vous concernant serait des plus justifiée (…) »[15].
[1] Selon des documents de la Conservation des hypothèques, il est né le 10-7-1874, A.D.17, côte 2716W103
[2] CASTAING Hugues et Marie, arrières petits enfants de Fernand Castaing, L’Express, 13/19- 3-2008
[3] GAUBERT Yves, L’armement Castaing : les Chalutiers de La Rochelle, Site « histoiresmaritimesrochelaises », Musée Maritime de La Rochelle, fiche de l’armement ; 16-1-2011
[4] CASTAING H. et M., article cité.
[5] GAUBERT Yves, Op. cit.
[6] CAMENEN Joseph, Regards sur une vie de marins-pêcheurs, 1979, Pen Duick, p. 224
[7] CASTAING Elian, Le Casoar, un témoignage, Site histoiresmaritimesrochelaises, Musée Maritime de La Rochelle, mai 2011.
[8] GAUBERT Yves, Op. cit.
[9] CASTAING Hugues et Marie, L’Express, art. cit.
[10] SYNDICAT DES ARMATEURS A LA PECHE, Fonds privé, 164 J, A.D. 17
[11] GAUBERT Yves, Op. cit.
[12] C.C.I. La Rochelle, 164 J, A.D. 17
[13] Idem
[14] Idem, Lettre du Préfet du 16-11-1929
[15] SYNDICAT DES ARMATEURS DE LA PECHE DE LA ROCHELLE, archives personnelles de Fernand Castaing, Côte 164 J, A.D.C.M.