Entretien avec André Auger

Dans le cadre du travail du Musée Maritime de la Rochelle

Par Yves Gaubert et Serge Robigo

 

A quand remonte la création de l’armement Auger ?

Mon grand-père, Edmond, travaillait à Paris et avait pris sa retraite à la Rochelle. Quelque temps avant, il avait commencé à s’intéresser à la pêche en prenant quelques parts avec un armateur, André Baron qui avait ses bureaux quai Valin près du phare.

Votre grand-père n’était donc pas du métier ?

Non, il n’était pas du métier, il était originaire de La Jarrie. Ses parents étaient paysans. C’étaient des viticulteurs. Après le phylloxera qui avait détruit les vignes, on faisait de la polyculture. C’est le frère aîné de mon grand-père qui a hérité de la ferme. Mon grand-père est devenu boulanger à la Jarrie, puis à Rochefort. De là, il est parti à Tours pendant la guerre 14-18 et ensuite à Paris. A sa retraite, il est revenu dans son pays natal et a commencé alors à s’intéresser aux bateaux.

Et votre père ?

Mon père, Daniel, lui aussi, avait ses activités en région parisienne. Pour raisons de santé, il a décidé de quitter Paris. Nous sommes arrivés à La Rochelle en 1937. C’est là que mon père, petit à petit, s’est également intéressé à l’armement, d’abord avec Simon Gaury (la Bourrasque) puis avec André Baron et ensuite avec d’autres associés comme Jean Morillon par exemple, le photographe, qui avait des parts dans plusieurs bateaux.

La plupart des bateaux de l’époque avaient plusieurs propriétaires ?

Oui, très souvent. Comme mon père avec M. Baron et M. Morillon, par exemple. Ils se disaient en privé, je prends tant de parts, tu en prends tant etc.…C’était simple, tout le monde se basait sur l’acte de francisation qui justifiait de la propriété du navire.

Et il fallait que quelqu’un s’occupe de l’armement

Oui, en général, il y en avait un bien entendu qui était lui-même armateur.

Votre père était-il dans la gestion directe du bateau ?

Lorsqu’il est revenu à La Rochelle, mon père a commencé à faire de la gestion directe. Il a eu aussi des participations comme je le citais plus haut avec Monsieur Baron. Et puis ensuite, ils ont décidé de faire construire des bateaux.

Vous rappelez-vous des noms de ces bateaux ?

J’étais très jeune, à cette époque-là. La première participation que mon grand-père a dû prendre, c’était avec André Baron dans un bateau qui s’appelait le Colette–Bernard. Cela doit remonter environ à l’année 1933.

Et après il a continué ?

Oui, mon père et mon grand-père connaissaient le père de Maurice et Marguerite Onfroy. Il était à Paris et avait un très grand cabinet de négoce de commerce en particulier de boulangeries, de pâtisseries etc. Lorsque mon père s’est installé à La Rochelle, Monsieur Onfroy lui a dit «Puisque vous retournez là-bas pour vous occuper de bateaux, ça m’intéresserais de prendre quelques participations». C’est ainsi qu’il a pris des parts dans les premiers bateaux.

En fait, c’était des participations croisées !

Oui, et petit à petit, mon père a pris son autonomie dans la gestion. Je pense que le premier bateau qu’il a fait construire, c’était le premier Atalante qui avait été construit dans un chantier belge.

Tous les bateaux, à l’époque étaient-ils des bateaux à vapeur ?

Non, à l’époque, à côté de la grande pêcherie, vous aviez des petits armateurs qui avaient tous des motorisations diesel. A la petite et moyenne pêche, c’était déjà du diesel, de faible puissance. Le moteur du premier Atalante [LR3488] devait faire entre 150 et 180 chevaux [NDLR : 95 CV]. Ces bateaux-là vendaient à l’Encan qui était situé à l’emplacement de la Coursive, maison de la culture aujourd’hui.

De quelle taille étaient ces bateaux ?

Le premier Atalante [LR3488] devait à peine dépasser les 20 mètres, je ne peux pas vous dire la taille exacte. L’Atalante, était un bateau très brut, avec un avant très vertical. Beaucoup plus vertical que le Charles-Letzer. C’était un bateau de 20, 22 mètres en acier construit en association avec M. Baron. Ce bateau-là, comme beaucoup d’autres avait été réquisitionné pendant la guerre. On se servait de ces bateaux en les équipant simplement d’une mitrailleuse à l’avant. Ils faisaient du service dans les estuaires etc. Il a été coulé dans l’estuaire de la Gironde. Cette coque-là n’a pas été récupérée. Mon père a eu beaucoup de dommages de guerre. Toujours avant la guerre, mon père avait fait construire un autre bateau qui s’appelait la Vague en association avec M. Onfroy. Ce chalutier avait été construit en région parisienne, dans un chantier naval, qui était à Villeneuve la Garenne. Il était un peu plus grand, dans les 24 mètres, et un peu plus puissant que l’Atalante. Ce bateau a été réquisitionné lui aussi et mon père ne savait pas ce qu’il était devenu. Un beau jour, après la guerre, un ami boulonnais de mon père lui téléphone, et lui demande : « La Vague, c’est bien à toi ? Bon, il est dans tel port anglais ». Mon père est allé le récupérer et l’a remis en état. Malheureusement, ce bateau-là a sauté sur une mine au-dessus de Rochebonne : il n’y eût aucun survivant.

Comment a-t-on su qu’il avait sauté sur une mine ?

On n’a jamais rien retrouvé. Il faisait beau. Des bateaux en pêche qui étaient dans le secteur ont vu des lueurs la nuit ce qui a permis de déclarer officiellement une perte par mine. A l’époque, on ramenait beaucoup de mines dans les chaluts mais à cet endroit, il y avait encore des mines dérivantes.

Votre père a-t-il fait construire à la Rochelle ?

Mon père avait deux petits bateaux en bois qui ont été construit à La Rochelle chez Anatole Mallard, le père de Roger qui lui, a travaillé pour la plaisance. Le Baraka et le Hasard. C’étaient des bateaux de 16, 18 mètres avec des moteurs de 120 chvx environ. Le Baraka a été réquisitionnée par les Allemands pour la base des sous-marins de La Pallice. Je crois qu’il servait à ouvrir le barrage en filet d’acier. Un jour de tempête, il a coulé sous le môle d’escale. Les Allemands qui avaient des barges l’ont renfloué et déposé sur le quai. Mon père l’a retrouvé en 45 après la Libération. Le deuxième Baraka a été construit Par l’Union Sablaise. Fernand Bornic l’a commandé pendant très longtemps.

Où était le chantier Mallard ?

Au pied de la tour des quatre sergents, sur la cale des chantiers. Dans l’enfilade, vous aviez les chantiers de Vernazza, de l’Union Sablaise, de Mallard … Les bateaux étaient lancés sur la cale.

Quel statut avait les patrons ?

Ils étaient salariés de l’armement. La coutume voulait que ce soit le patron qui recrute lui-même son équipage.

Est-ce qu’il arrivait que des patrons aient des parts dans l’armement ?

Rarement. Mais, par exemple, Fernand Bornic qui a commandé très longtemps le Baraka a fait construire Le Ma-Jo-Ri quand le Baraka a été désarmé. C’était les initiales de ses trois enfants, comme c’était la coutume à l’époque. Le Ma-Jo-Ri a été construit 50% Fernand Bornic et 50% par notre armement.

Comment se passaient les dédommagements de guerre ?

L’Union des Armateurs avait créé un comptoir de reconstruction qui regroupait les armateurs. Mon père avait des droits à la reconstruction. Il a reçu, en remplacement de l’Atalante, un bateau de 26 mètres qui s’est appelé aussi l’Atalante et qu’il a exploité assez longtemps. Lorsque je suis arrivé à La Rochelle, l’Atalante II existait toujours. Je l’ai vendu quelques années plus tard. En remplacement de la perte totale de la Vague, mon père, qui n’avait plus que le Hasard en navigation et qui voulait acheter un bateau avec Mr Onfroy a trouvé à Gravelines le Charles-Letzer qui lui a été attribué avec une soulte. La soulte était appliquée quand le bateau valait plus cher que les droits des dommages de guerre auxquels vous pouviez prétendre. La soulte était un emprunt. La SA Les Doris avaient un autre bateau à vendre, le Simone-Marie. Mon père a décidé d’acheter ces deux bateaux avec M. Onfroy.

Ils avaient donc investi au-delà de leurs droits de dommages de guerre ?

Oui, ils avaient ainsi trois bateaux importants : l’Atalante II, le Charles-Letzer et le Simone-Marie, plus trois petits bateaux en bois le Baraka, le Hasard et le Baroudeur. Le Baroudeur avait été commencé avant guerre chez Mallard et n’avait pu être terminé au moment où les Allemands sont arrivés. Ce bateau a passé toute la guerre à Marans, sur la Sèvre et a été ramené à La Rochelle en 46. Le bateau a été mis en exploitation un certain nombre d’années. Mon père ensuite, a racheté avec M. Morillon, un autre bateau, le Varne. Le même que L’Atalante II, un 26 mètres « Corporation».

Les «corporations» ?

Oui, c’était des séries de bateaux dessinés après la guerre par l’architecte naval parisien, M. Guéroult. Il y en avait de plusieurs tailles selon le type de pêche et les endroits où ils pêchaient. Il y avait des « Corporations » de 26, 28 mètres, 32 mètres, 38 mètres, 42 et 48 mètres…La plupart de ces bateaux avaient été construits au Canada ou à Aberdeen en Ecosse. On les reconnait tout de suite, ils ont la même « patte ».

Dans les archives du Musée maritime de La Rochelle, nous avons des photos du Varne et de l’Atalante : même plan, même ligne de profil, même courbe…

Monsieur Onfroy avait des navires de ce type : le Flux et le Reflux, des 28 mètres « Corporation ».

La pêche après-guerre, c’était la belle époque !

Oui, après-guerre, les bateaux rentraient la cale pleine de merlus. Ils ne ramassaient même pas le merluchon. Ça ne se vendait pas très cher, mais c’était quand même une belle époque. Les fonds n’avaient pas été pêchés pendant les quatre années de guerre civile en Espagne puis pendant la guerre 39/40. Les ressources s’étaient bien reconstituées.

Quand êtes-vous devenu armateur ?

En 1958, mon père n’avait jamais voulu que je m’occupe de l’armement. Il était bien entouré et voulait que je me forme à un métier. En 45, je suis parti à Paris faire mes études. Je suis devenu ingénieur frigoriste. J’ai travaillé à Paris pendant un certain nombre d’années. J’étais dans une société où l’on construisait et où l’on installait du matériel frigorifique. En 1958, mon père est tombé gravement malade et m’a demandé de revenir auprès de lui. Je suis revenu huit jours avant son décès. Il n’a pas eu le temps de m’initier à l’armement. Heureusement, mon père avait de bons collaborateurs en particulier le capitaine d’armement de l’époque, M. Porcheron qui m’a bien secondé.

Où aviez-vous vos locaux ?

Mon père avait un petit bureau sur le port près de Castaing au bout de l’Encan mais, en définitive, son bureau, c’était chez lui. Quand je suis arrivé, j’ai équipé tout de suite le bureau du port. On s’y est installé avec M. Porcheron. Nous avons développé l’armement et embauché du personnel. Nous avions aussi un magasin, un ancien entrepôt des douanes à côté du rempart Saint-Claude. Il était en bois et pas très grand. Nous avons dû en partir et nous installer dans l’ancienne usine Pichery qui faisait de la sardine à la Ville en Bois. Par la suite, j’ai acheté la salle des fêtes de la Ville en Bois. C’était une petite salle avec une petite maisonnette à côté que nous avons rénovée.

A cette époque, combien de chalutiers aviez-vous ?

En 58, l’armement était composé du Varne, de l’Atalante, du Charles-Letzer, du Simone-Marie et du Baraka. Le Hasard avait été vendu entre temps. Assez rapidement, on a changé le moteur du Varne pour un moteur plus puissant. On a vendu l’Atalante car il aurait fallu aussi changer le moteur. Les bateaux d’avant guerre avaient des moteurs dont la puissance était insuffisante. Donc, on a commandé de nouveaux bateaux : en 61, L’Euros qui avait été construit en Hollande par Kramer et Booy, un bateau de 37 mètres. Assez rapidement, André Baron qui était un des associés de mon père, puis le mien, et qui avait pris sa retraite en ce moment-là à La Ciotat, m’a proposé de faire construire deux bateaux identiques. On a commandé en 61 le Jalène et le Corino qu’on a fait construire à Saint-Malo par la Siccna. Ces bateaux-là étaient un petit peu plus courts mais plus larges que l’Euros, avec des moteurs de 800 Cv. Dans la foulée, avec d’autres associés, on a fait faire le même bateau, du nom de Chantaco. En 64, j’ai fait construire le Koros, un 38 mètres. Avec M. Baron qui souhaitait un bateau un peu plus grand et plus puissant, on a fait construire le Luc-Bernard, un 40 ou 42 mètres aux Chantiers de la Manche avec un moteur de 1000 Cv. Quand le marasme a commencé en 67, j’ai vendu le Varne à un armateur de La Rochelle alors que l’Atalante était parti depuis longtemps. J’ai vendu le Jalène et le Chantaco à un armateur de Lorient pour l’exploiter à Abidjan. Un an après, j’ai vendu le Corino à un ivoirien d’Abidjan. Dans la foulée, j’ai vendu le Charles-Letzer et le Simone-Marie en Italie à M. Di Mauro, une personne dont j’ai reçu des cartes de vœux pendant très longtemps. Je n’avais plus de bateaux. J’ai donc racheté à La Rochelle le Saint-Blaise à Jean-Claude Menu et l’Yves-Dumanoir à M. Guelfi, un homme d’affaires qui, un beau jour avait décidé de faire construire ce bateau. Il l’a exploité pendant deux ou trois ans et après ça ne l’amusait plus, il me l’a vendu. Il avait fait construire aussi un grand sardinier, un bateau de pêche de 48 mètres environ… C’est lui aussi qui avait fait construire le premier pêche-arrière qui est venu à La Rochelle l’Adrien Pla. En 67, l’armement était donc composé du Saint-Blaise, de l’Yves-Dumanoir, du Luc-Bernard, du Koros, du Baraka et du Ma-Jo-Ri. J’avais un patron qui s’appelait Albert Sévellec qui avait fait construire un petit bateau en bois et dont il voulait se séparer. Il voulait un autre bateau à exploiter, alors, on a racheté ensemble le Tourmalet, à Concarneau, chez Pierre-Yves Delhemmes. Ça faisait partie de toute cette série de bateaux qu’ils avaient fait construire à Concarneau et à La Pallice. Le Tourmalet marchait très bien, mais, il n’a pas eu de chance. Une nuit, Albert Sévellec dormait, l’homme de barre s’est mis sur un rocher au sud de l’Irlande. Le bateau est arrivé sur le rocher qui était en pente douce comme un slipway. Il est monté et les hommes sont redescendus à pieds sec. C’était un îlot désert sur lequel il y avait quelques moutons et des mulets. On est allé les chercher avec l’hélicoptère.

Vous avez fait construire et vous avez exploité un grand nombre de bateaux !

Oui, pendant 32 ans ! On fait construire des types de bateaux en fonction des besoins. C’est vraiment difficile de prévoir. Vous avez des bateaux qui marchent remarquablement bien ou, on ne sait pas pourquoi, des bateaux qui, assez rapidement, deviennent obsolètes. Des bateaux comme le Koros ou le Saint-Blaise sont des bateaux qui, jusqu’à la fin, ont parfaitement marché sans problèmes et qui ont pu s’adapter à différents métiers.

Il y a eu aussi la hausse du prix du gasoil, à cause du choc pétrolier qui a fait que certains bateaux n’étaient plus rentables.

Oui, c’était le cas de l’Yves-Dumanoir, qui était un bateau qui marchait remarquablement bien. C’était un bateau à hélice sans réducteur. Mais, dans une marée de 15 jours, l’Yves-Dumanoir consommait assez facilement 10.000 litres de gasoil de plus que le Koros et le Saint-Blaise qui avaient pourtant la même puissance. Donc, le rendement était moins bon et il est parti le premier. C’était un bon bateau… Mais quand on faisait les comptes en fin d’année ….

Le recrutement de l’équipage était-il facile ?

Chez moi, il y avait surtout les bretons qui faisaient venir leurs cousins et constituaient l’équipage. Tant que le bateau marchait bien, on était tranquille. Il y avait des équipages très stables. Mais, quand on commençait à faire de mauvaises marées, les équipages bougeaient beaucoup. Ils passaient d’un bateau à l’autre. C’était fluctuant. J’ai eu deux ou trois patrons originaires des Sables d’Olonne. J’avais les deux frères et j’avais des cousins à eux sur le Koros, ensuite sur le Kressala. Ces bateaux là, le Saint-Blaise et le Koros, ils ont toujours très bien marché. Donc, il n’y avait pas beaucoup de problème d’équipage.

Il y a eu des mouvements sociaux pendant cette période.

Ah oui. C’était Bobinnec qui était le représentant CGT de l’époque, « l’homme aux yeux verts » ! Le plus important, ce fut le mouvement de 68. J’avais en gérance un bateau dont les propriétaires, étaient d’Arcachon, le Ravignan et ce bateau-là a été le dernier à rentrer sur La Rochelle quand il y eut la grève. En l’espace d’une semaine, presque tous les bateaux étaient rentrés. Il n’y avait plus d’encan, plus de marée, plus rien du tout. Il est quand même rentré de mi-marée avec 8 ou 10 tonnes de poissons et nous, avec l’équipage et les amis que j’ai réquisitionnés, on s’est installé sur le quai avec des balances et en deux matinées, on a vendu tout le poisson, en direct, poisson par poisson, aux personnes qui étaient encore bien contentes d’en trouver. Il y a eu d’ailleurs des photos de prises de cette aventure. Dans un restaurant aux Minimes, il y avait une photo où on nous voit en train de vendre les poissons. C’était le restaurant de Marie-Louise qui avait des bateaux de promenades et dont le mari était également patron de pêche ;

Et quelles étaient vos relations avec les autres armements ?

Il y avait parfois de la concurrence, il arrivait que l’armement se disputent les bons patrons par exemple … Mais, nous avions des intérêts communs et il fallait que l’on s’entende. Au départ, il y avait deux syndicats : le syndicat des armateurs à la pêche hauturière et celui des armateurs à la pêche fraîche. Celui-ci avait son siège rue de l’Escale me semble-t-il. Jean Gaury en a été Président, Vice-président, Daniel Auger et Secrétaire général, M. Denimal. La différence entre ces deux pêches s’étant amenuisée, les deux syndicats ont fusionné. Jacques Babinet, beau-frère d’Eric Dahl en est devenu Président et l’est resté pratiquement jusqu’à son décès. Beaucoup d’armateurs ont assumé cette charge comme Robert Sanquer et Jean-Claude Menu, qui en a été le dernier Président. Personnellement, je n’ai jamais voulu accepter ce poste mais, j’en suis resté le Secrétaire général du début des années soixante à 1990.

Et avec les mareyeurs ?

Avec les mareyeurs, on était bien obligé que ça se passe bien. On avait coutume de dire «Avec les mareyeurs, il y a juste six caisses qui nous séparent !». Nous n’avions pas les mêmes intérêts ! D’un côté le vendeur, de l’autre l’acheteur ! Malgré tout, on peut dire qu’on s’entendait quand même bien avec les mareyeurs.

Avez-vous eu des avaries ?

Ah… oui ! Mon armement était spécialiste de la pêche ….aux sous-marins. Dans toute ma carrière, mes bateaux ont réussi à pêcher trois sous-marins !

Le premier qui en a pêché un, c’est l’Euros. Cela aurait pu être très grave, parce que le sous-marin était en plongée. Il allait dans un sens, l’Euros allait dans l’autre sens, avec les funes accrochés au chien. L’Euros : 750 chevaux, et les sous-marins … 7000 ou 8000 chevaux. Le patron a commencé par mettre marche arrière quand il a vu ça… et le bosco a eu la bonne idée de couper les funes. Parce que les funes étaient accrochés au chien sur un des côtés du bateau, et le bateau risquait de chavirer.

Le deuxième, c’est le Koros qui a rencontré un sous-marin français dans le Golfe. Il devait être en manœuvres et on suppose que, pour se camoufler, il a dû se mettre sous le chalutier en se disant qu’ainsi, il ne serait pas repéré. Mais, il s’est pris dans les câbles ou dans le chalut quand le chalut a été viré. Le sous-marin a fait surface. Le commandant du sous-marin a dit au patron (Claude Gueguen) : « Bon, ne bougez pas, je plonge, je passe en dessous et remonte de l’autre coté ». Et, en faisant cette manœuvre, ils ont pratiquement dégagé une bonne partie du chalut qui était sur leur kiosque et ils ont réussi à dégager le reste … Là, ça c’est bien passé. Le patron a réparé puis a pu remettre en pêche. L’Euros, lui, étant donné qu’il avait coupé les funes, il a été obligé de rentrer à La Rochelle puisqu’il n’avait plus assez de funes, plus de chalut, plus de panneaux etc.… Il avait perdu un train complet et là, ça coûte très cher !

Le troisième, c’était le Fomalhaut qui était en gérance chez nous. Lui, il a rencontré un sous-marin anglais et par mauvais temps. Le patron, c’était Yves Joncour et Yves, ce n‘est pas le gars à se laisser faire comme ça ! Quand le sous-marin a fait surface, le commandant du sous-marin a dit à Yves Joncour : « Ne bougez pas ! Ne bougez pas ! Coupez tout ! On paiera, on paiera, je vous le garantis, vous serez remboursé ». Et Yves Joncour a répondu : «je suis en pêche et, si je coupe tout, j’ai plus de funes, j’ai plus de chalut pour continuer !» Alors, il a commencé à virer (éclats de rire) ! Et le commandant a dit : « Non, reculez. On paiera, on paiera !» Yves Joncour a quand même viré jusqu'à venir pratiquement presque au-dessus de l’étrave du kiosque, au-dessus du sous-marin et puis, au dernier moment, quand il a vu qu’il ne pouvait pas aller plus loin, il a coupé ! Bien sûr, il avait perdu le chalut, les deux panneaux … mais comme il avait viré tout ce qu’il avait pu, il avait remonté assez de funes. Il lui restait deux panneaux de l’autre coté, il a sorti un chalut qu’il avait en réserve et il a pu regréer. Et, il a donc quand même fini sa marée !

Et dans ces cas-là, les armements ont-ils été dédommagés ?

Oui, même dans le cas du Koros qui avait récupéré son train de chalut, il y a eu une indemnisation pour remplacer les funes qui avaient été raguées sur 400 ou 500 mètres. C’était réglo, ils ont reconnu qu’il y avait des manœuvres dans le Golfe à ce moment-là. Le sous-marin, d’ailleurs, est rentré à Lorient avec des raguages sur la coque. Vous voyez, comme quoi, un chalutier peut pêcher un sous-marin et, malheureusement, le bateau breton, là, dernièrement, il y a des chances que ce soit ça qui lui est arrivé…Parce que, un pêche arrière tiré par l’arrière … La baignoire, elle se remplit rapidement !

Mis à part la Vague, avez-vous eu d’autres naufrages dans l’armement ?

Non, j’ai eu un échouage avec le deuxième Baraka du temps où Fernand Bornic était à bord. C’était un peu mon baptême du feu parce que je suis revenu pour reprendre l’armement en 1958 et je pense que c’était 6 mois après mon arrivée. Fernand Bornic prend une marée de congé. Le bateau était au niveau de la côte landaise et l’homme de quart s’est endormi… Bon, je pense que, quand il a passé le premier rouleau, cela l’a réveillé un peu mais il était trop tard et le bateau a continué à la plage. Alors, je suis parti avec mon assureur. C’était la SAMAP (Société d’Assurances Mutuelle d’Armement à la Pêche) de Lorient. C’est le père de Gérard Cognacq, l’ancien directeur de la criée de La Rochelle qui était leur expert maritime qui s’était occupé du dossier.

 A marée basse, on pouvait faire le tour du bateau, il était complètement au sec. Alors, on a essayé d’appeler l’Euros qui était en pêche ou en route parce qu’à l’époque on descendait encore pêcher en Espagne. L’Euros a réussi à passer une fune mais cela n’a pas marché. C’est un des remorqueurs de La Pallice qui est venu. On a fait quelques petits préparatifs avec un bulldozer. On a commencé à creuser un chenal derrière le bateau et le remorqueur a pu le sortir sans mal parce que le bateau était venu s’échouer tout droit dans le sable. Le remorqueur l’a ramené jusqu’à La Rochelle parce qu’il y avait certainement pas mal de sable dans les circuits et qu’il valait mieux faire un peu de nettoyage. Et puis le bateau est reparti !

Et au niveau des équipages, Avez-vous eu des accidents ?

Oui, quelques-uns malheureusement. Sur le Koros, il y a eu un homme qui s’est fait tuer par un panneau de pêche et, Dieu sait pourtant si Claude Gueguen, le patron était un garçon prudent…Mais, il y a eu un coup de roulis et le panneau, au lieu de revenir se plaquer sur la ferme, il est revenu droit et l’homme a été tué sur le coup. C’était des panneaux de 800 kilos…

Sur Le Varne on a perdu un homme en mer. Le bateau faisait route tranquillement sur La Rochelle. On n’a jamais su ce qui s’était passé.

On a eu aussi deux chefs mécaniciens qui sont tous les deux décédés en mer d’une crise cardiaque, un sur le Kressala et un autre sur le Scapiria et à 6 mois d’intervalle… Celui du Kressala, il n’était pas de quart. Quand le mécanicien de quart est allé frapper à sa cabine pour le réveiller, il était décédé. L’autre, sur le Scapiria, c’était au départ de La Rochelle. La bateau fait route pêche et arrive à hauteur des Sables d’Olonne. Le chef mécanicien a fait une crise cardiaque. Le patron a appelé tout de suite les secours mais malheureusement c’était trop tard.

Par contre, ce qui nous arrivait, c’est que de temps en temps, on débarquait des malades ou des blessés en Espagne. Sur les côtes d’Angleterre, on avait des correspondants, des agents consulaires français qui prenaient les malades en charge, ils les rapatriaient ou les hospitalisaient en cas de besoin. Souvent un homme qui se blessait ou se piquait, ça devenait un panaris avec une grosse infection qu’il fallait soigner. Il y avait à Newlyn en Cornouailles une femme qui était sensationnelle. Elle faisait de l’avitaillement pour la petite pêche, je crois. Elle était notre correspondante. Elle s’occupait de tout pour nous : elle récupérait le malade, le faisait soigner, organisait son rapatriement et puis nous envoyait la facture.

Après-guerre, quelles étaient vos zones de pêche ?

Pendant longtemps nous avions droit de pêcher en dehors des eaux territoriales françaises au-delà de 12 miles de la côte. On pêchait beaucoup au large de l’Espagne. Certains patrons rochelais étaient spécialistes de cette pêche sur les côtes d’Espagne, en particulier pour la dorade qui se vendait bien l’hiver. Les Rochelais étaient assez tranquilles à l’époque sur ces zones de pêche parce que beaucoup d’Espagnols pêchaient encore en bœufs [NDLR deux bateaux tiraient le chalut] peu adaptés aux fonds espagnols qui étaient très tourmentés et que nous connaissions mieux qu’eux. Quand les 120 miles ont été mis en place dans le cadre du marché commun, la donne a changé : tous les bateaux européens avaient le droit de pêcher dans toutes les zones d’Europe. Les Espagnols s’y sont mis et ont recruté des patrons de pêches rochelais. Les zones ont été plus pêchées et donc sont devenues moins poissonneuses. Nos petits bateaux comme le Varne et l’Atalante pêchaient à l’accore du bord du plateau continental de la Rochelle au sud Bretagne. Au large de la côte des Landes, il y avait un coin qui était assez célèbre ou Claude Gueguen pêchait beaucoup et que l’on appelait le fer à cheval. Ce n’était pas trop loin mais petit à petit ces fonds-là aussi ont été surexploités. Les Espagnol sont venus pêcher dans ces zones également et il a fallu changer notre fusil d’épaule. A ce moment-là, on a commencé à monter vers le Nord dans les zones de Grande sole, Petite Sole, ouest Bretagne, Lizard face au cap Lizard, à la pointe sud de l’Angleterre. On allait au Sud-Angleterre, Sud-Irlande. Certains bateaux montaient par le canal Saint-Georges jusqu’à Nord-Irlande et ouest-Ecosse comme le Kressala par exemple. Il y avait aussi ce fameux banc au large qui était ouest Irlande où même les petits bateaux montaient en allant à la langoustine. Je ne sais plus le nom de ce banc [NDLR : Porcupine].

Jusqu’où allaient les chalutiers Rochelais au Sud ?

Ils franchissaient le Finistère pour descendre peut6être jusqu'à devant Vigo. Certains descendaient jusqu’au nord Portugal mais pas au delà.

La pêche rochelaise a vécu des heures glorieuses !

Oui, Le maximum qu’on ait fait à La Rochelle, c’est dans les 24.000 tonnes environ. Après, les bateaux ont commencé à partir et les pêches ont commencé nettement à diminuer. En 2010, le port de pêche de La Rochelle a terminé en dessous des 3 000 tonnes. Dans les dernières années de l’armement, les 3000 tonnes, on les faisait à nous tout seul. Le Kressala faisait 1000 tonnes par an !

Dans les années 60, les armements faisait un peu la pluie et le beau temps à La Rochelle. On pêchait à l’extérieur de La Rochelle, mais le chiffre d’affaires généré était redistribué localement en salaires, fournitures, ateliers de réparation. Alors, quand il y avait une grève et que ça faisait 8 ou 10 jours qu’il n’y avait plus de rentrées, les commerçants faisaient grise mine et pas seulement les magasins d’alimentation, car, quand le patron avait fait une bonne marée et qu’il avait touché un bon chèque, il allait offrir quelque chose à sa femme.

Les bistrots tournaient très bien aussi : la Renommée, chez Garcia, chez Rateau …

Tant qu’on en a eu le droit, les règlements se faisaient en espèces. C’était la tradition. Chaque bateau avait son café : Garcia, Rateau ou le « Tout va bien »... Et nous, dès que les décomptes de la marée étaient faits, le lendemain matin, on allait à la banque avec notre chèque et notre décompte de monnaie de façon à avoir exactement ce qu’il fallait pour payer chacun. On arrivait dans le café où était le rendez-vous. On sortait les billets de notre petite sacoche et on étalait les 8, 10 ou 12 parts selon le nombre de l’équipage, la feuille de marée de façon à ce qu’ils puissent vérifier la répartition par rapport au montant de la vente, les frais etc.… Et, puis, quand c’était fini, hop ! Au revoir Messieurs ! Parce que, c’est à ce moment là que commençaient les tournées. Chacun payait la sienne et donc, nous, dans l’armement, avec mon capitaine d’armement et les employés de l’armement…

… Vous préféreriez vous retirer

Oui, dès que c’était fini : « Au revoir, Messieurs !». C’était la tradition. Jusqu’au jour où, au-delà d’une certaine somme, il a été interdit de payer en espèces. Les salaires étaient dorénavant disponibles dans les bureaux de l’armement dès 11 heures le lendemain. Ceux qui avait des comptes en banque endossaient le chèque et allaient le déposer. Les autres partaient avec leur chèque qu’ils pouvaient encaisser à l’époque immédiatement en espèces. Pour ne pas trop mélanger les comptes des différents bateaux et puis également pour faire plaisir aux directeurs de banque, on avait des comptes dans plusieurs établissements à la Rochelle.

Vous embarquiez des mousses ?

Oui, l’école d’apprentissage, surtout aux périodes de congés, de Noël, de Pâques et des grandes vacances, nous demandait d’embarquer des mousses de façon à ce qu’ils fassent une marée d’essai. Cela s’est un peu perdu après car les bateaux artisanaux qui naviguaient à quatre, cinq, six, n’avaient pas de place et les mousses ont eu ensuite beaucoup de mal à trouver un embarquement pour faire une première marée. On avait un accord avec les Affaires maritimes, on embarquait le mousse et on prenait en charge ses vivres etc.… mais on n’avait pas à payer le rôle, on était exonéré de charges sur ces embarquements.

L’atelier des petits modèles du Musée Maritime de La Rochelle a réalisé une maquette du Charles-Letzer, Pouvez-vous nous en parler ?

Je vous ai apporté la copie de l’acte de francisation, l’acte lui-même a disparu. Ce navire faisait 30 m. Le Charles-Letzer a été construit à Ostende avant la guerre en 1934, pour le compte de la SA Les Doris et immatriculé à Boulogne. Le siège de la société Les Doris était à Gravelines. Les bateaux, de retour de pêche rentraient à Boulogne mais vendaient leur pêche à Gravelines. Mon père l’avait racheté en même temps que le Simone-Marie dans les années 50. Mon père avait un bateau qui s’appelait La Vague, qui avait été perdu en sautant sur une mine. Après la guerre, les chalutiers remontaient souvent des mines. Si le patron s’en apercevait à temps, il coupait le chalut et larguait le tout à la mer. Quand ça se passait près de la côte, il les ramenait. A ce moment là, pas question bien sûr d’entrer dans le bassin. Le navire restait dans le chenal et les artificiers venaient la récupérer.

Vous avez été le dernier armateur ?

Oui ! J’ai vu pratiquement tous mes collègues partir les uns après les autres. Jean-Claude Menu est parti 4 ou 5 ans avant. Il a eu une occasion de revendre les 2 pêche-arrière qui lui restaient. Quand on a fait construire le Kressala et L’Antiochus, Jean-Claude Menu avait 2 bateaux en construction. Il a exploité le 1er, et le 2ème, je crois qu’il l’a vendu sur cale. C’était à l’époque du choc pétrolier.

Quel est le dernier chalutier que vous avez fait construire ?

Le dernier chalutier que j’ai fait construire, c’était le Scapiria. Nous l’avons fait en association armateurs-mareyeurs (la SCAPIR) aux Sables d’Olonne aux chantiers du Bastion. J’ai dû l’exploiter 5 ou 6 ans et je me suis arrêté le 31 décembre 1990 à 65 ans. Le Scapiria a été ensuite géré par la SARMA puis, quand la SARMA s’est arrêté par Elian Castaing qui a fini par le vendre en Espagne en 1994. [NDLR : Il a été transformé en fileyeur et est basé en Gallice à Celeiro.]

Voilà ma vie d’armateur. C’est vrai qu’il y a eu des coups durs, des moments difficiles mais, avec le recul, je peux dire que ce métier était passionnant.

Juin 2009

Armement: 
Auger

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