Fiche d'un armement
Dahl
Oscar Dahl est l’armateur à la pêche à vapeur de La Rochelle le plus emblématique avec son concurrent direct Fernand Castaing. Le Norvégien débarqué en 1895 en France a fondé un petit empire industriel où toutes les activités sont intégrées depuis la production jusqu’à la distribution. Il a inspiré à Georges Simenon le personnage d’Oscar Donadieu, l’armateur, dans son roman, « Le testament Donadieu ». C’est l’histoire d’une réussite qui a fortement marqué la pêche rochelaise entre les deux guerres.
- Emile Vinet : Emile Vinet, ingénieur d’armement chez Oscar Dahl (Rédigé par Emile Vinet, à partir d'un texte d'Yves Gaubert)
- Henri Moulinier : Oscar Dahl, le premier grand armateur à la pêche, à partir de 1904
- Emile Vinet : Les essais après déréquisition du Penfret 2
- Emile Vinet : Mes années dans l'armement Dahl
- Yves Gaubert : L’armement Dahl : les Pêcheries de l’Atlantique
Mes années dans l'armement Dahl
Texte écrit par Emile Vinet, Ingénieur d’armement Dahl.
Dans l’été 1945, à mon retour de captivité, à presque trente ans je devais rapidement chercher à gagner ma vie.
Dans la France exsangue où tout manquait, où tout était à reconstruire, de multiple opportunités s’offrait à un jeune ingénieur, potentiellement disponible, mais ayant tout à apprendre du métier qu’il choisirait. Je savais que je ne devrais pas avoir peur de me salir les mains.
Une image maintenant inimaginable de la situation du moment : dans le Paris du premier été d’après la guerre, le seul bruit qu’on entendait était le piétinement de la foule sur la chaussée des rues et boulevard les plus les plus fréquentés, où repassait pratiquement aucune voiture privée !!
A la rochelle un mien cousin, avocat d’affaire maritimes travaillait en relation avec la célèbre « maison DAHL ».
Oscar Dahl avait à reconstituer avec l’aide de l’Etat une flotte qui avait été entièrement réquisitionnée sous pavillons français, anglais, allemands. Certains bateaux avaient été retrouvés en très divers endroits, souvent à peine reconnaissables par les transformations militaires qu’ils avaient subies, souvent en très mauvais état. Leur remise en état incombait à la Marine Nationale qui confiait la plupart des travaux à des entreprises privées. Les ateliers Dahl (personnel récupéré) étaient au premier rang intéressés et reprirent très vite une totale activité en relation avec d’autres grands chantiers.
Les bateaux disparus devaient être remplacés par des bateaux neufs à construire suivant un vaste programme de standardisation et modernisation de toute la flotte française, étudié et mis au point pendant la guerre par les confédérations d’armateur set les services gouvernementaux de la reconstruction. Suivant leur type, les bateaux devaient être construits dans des chantiers français, anglais et américains.
Tous les bateaux neufs « Dahl » furent construits à Nantes et à Dunkerque.
Ils nécessitèrent d’ailleurs tous des mises au point, mises à jour, ou perfectionnement de détails spécifiques à chaque armement. Belle perspective pour un ingénieur d’armement qui devait aussi diriger les ateliers, l’ingénieur d’armement, Oscar Dahl.
L’Anglais William Black était décédé en Angleterre pendant la guerre. A côté de certains petits armements repliés à La Rochelle, non réquisitionnés, qui récupérèrent les somptueux bateaux du quai Valin, une partie des bureaux était occupés par une importante société d’Assurance de Bateaux de pêche de Boulogne-sur-mer dirigée par Monsieur Alexandre Cousin, ancien ingénieur mécanicien de « La Royale » et ancien directeur de la plus importante société de construction et réparation de bateaux de Boulogne.
Monsieur Cousin était exactement l’homme de la situation et à l’automne 1945, il fut installé Ingénieur d’armement de l’armement « Oscar Dahl et Cie »1. Mais avec une tâche écrasante pour plusieurs années. Monsieur Cousin, âgé de plus de 65 ans avait besoin d’être immédiatement assisté puis progressivement remplacé. Après hésitation, j’acceptais l’offre qui m’était faite.
J’ai dit plus haut que je ne devais pas avoir peur de me salir les mains !...
Et mes employeurs m’avaient mis en garde contre les « peaux de bananes » d’un milieu peu tendre avec les intrus : Les chantiers navals et les marins pêcheurs.
Mais je fus merveilleusement servi par deux chances sur mesure.
D’abord la "chance" de l’école la plus efficace de relations humains : huit années ininterrompues de service militaire, guerre, captivité dans l’Allemagne nazie, dans la promiscuité, la faim, sous les bombes. Puis la chance d’une totale insensibilité au mal de mer qui me rendit vite célèbre sur le pont.
Par gros temps je pouvais, ballotté dans une salle de machine à vapeur, travailler le sourire aux lèvres dans l’odeur d’ huile chaude et de machefer, près de mécaniciens livides, désamarinés par des années à terre. 2
Monsieur Cousin m’avait dit « Si vous venez à moi avec tout votre cœur, vous serez médecin de bateaux. Il n’y a pas de plus beau métier ». J’entends encore ses paroles, jamais démenties même dans les pires moments que réservent les métiers maritimes, incomparablement riches dans les relations humaines. Je savais que je ne devrai pas avoir peur de me salir les mains !… d’une « saleté dont on peut se laver », disait le Norvégien Bernard Tonnesen.
Je ne pouvais pas mieux tomber que dans cet immense et multiple chantier ou tous les cas inimaginable de travaux était à traiter simultanément.
Plus tard, bien après la mort d'Oscar Dahl, d'autres bateaux furent construits en Pologne, à Gdanst.
Le personnage
En 1945, a 75 ans, Oscar Dahl était encore un homme d’apparence jeune, d’une stature imposante portant avec la même aisance de costume de ville BCBG décontracté » et avec un naturel de grand seigneur la tenue de grand cérémonie avec indispensable haut-de-forme (cérémonies auxquelles il associait parfois certains domestiques dans la même tenue comme aux obsèques de sa femme Thérèse Billotte, petite fille d’Eugène Fromentin).
Norvégien, il s’exprimait longuement, sans lasser son auditoire, dans le français le plus riche et le plus rigoureux, presque châtié, sans préciosité. Il parlait posément sans le moindre hésitation, même pour dicter des pages de courriers difficiles d’une voix grave avec un infime accent… Lerurguinon !!!
Il savait rendre intéressants tous ses sujets de conversation et sans recherche imposait une autorité naturelle à son propos.
Oscar Dahl, patron
On sentait que conscient de sa grand autorité naturelle il cherchait par sa grande intelligence de n'en faire usage qu'à bon essient restant à une écoute très fine de ses collaborateurs.
Avec une incroyable faculté de compréhension, d'analyse et de synthèse, devant les problèmes les plus embarrassants, il était capable, à une vitesse d'ordinateur, de prendre les décisions les plus osées. Et ça marchait toujours !...
A l'écoute des autres ? J'eus un jour avec lui (un soir tard il m'avait croisé en bleu de chauffe) une vraie discussion à la suite d'important essais officiels d'une bateau réquisitionné, l'amicale « L'Atlantique » d'Oscar Dahl et Cie.
Le rayonnement de la personnalité d'Oscar Dahl et son sens des relations humaines avait créé à tous les niveaux de l'entreprise une cohésion dont le meilleur témoignage à été jusqu'au dernier jour la joyeuse vitalité de l'association amicale baptisé « L'Atlantique »fondée à l'époque faste du Vigneron Dahl. Un hymne chanté sur un air guilleret à tous les banquets commençait par ses paroles
« Nous n'sommes pas des atrabileurs
Nous les gens de l'Atlantique »
Suivent des couplets rimés avec humour dédiés aux responsables des principaux services : le responsable du montage des filets
… qui s'emmaille dans les culs d'ses chaluts
culs d'ses chaluts
1 Je n’ai jamais compris ce que signifiait le mot « Cie » pour une entreprise apparemment dans les mains d’un seul homme.
2 Voir « Paroles de Rochelais (N° 15, juin 2006)», le savoureux article de Roland Mornet sur le « Naupathie »)