Fiche d'un armement
Auger
L’armement Auger est né en 1933 au moment où Edmond Auger prend des parts dans un chalutier rochelais. Son fils, Daniel, le rejoint en 1937 et le petit-fils, André assure la continuité de 1958 à fin 1990. L’armement a eu en propriété près de 25 chalutiers entre sa création et sa fermeture, sans compter les bateaux d’autres propriétaires qui étaient pris en gestion. Le Scapiria a été le dernier chalutier industriel rochelais en activité.
André Auger, armateur à La Rochelle
André Auger a été un des derniers armateurs à la pêche industrielle de La Rochelle. Il a pris la responsabilité de l’armement en 1958 à la suite de son grand-père et de son père. Il a cessé son activité fin 1990. Il nous raconte les grandes étapes de l’armement Auger.
« Originaires de La Jarrie, les parents de mon grand-père étaient viticulteurs. Le phylloxéra les a obligé à passer à la polyculture. Le frère aîné a hérité et mon grand-père Edmond est devenu boulanger à La Jarrie. Il est parti ensuite à Rochefort, puis à Tours pendant la guerre de 14-18 et enfin à Paris. A sa retraite en 1932, il est revenu à La Rochelle. Il avait commencé à s’intéresser aux bateaux. Il avait pris des parts avec Simon Gaury dans le chalutier Colette-Bernard (1933).
Mon père, Daniel, a commencé son activité en région parisienne. Malade, il est opéré en 1936, quitte Paris en 1937. Il s’intéresse à l’armement avec André Baron et Jean Morillon, le photographe. Tous les trois font construire un bateau sous seing privé, ils apparaissent tous sur l’acte de francisation.
Les bateaux de l’armement Auger
Mon père a pris son autonomie avec l’Atalante, un chalutier construit dans un chantier belge et équipé d’un moteur diesel. C’était un bateau de 20 mètres avec une puissance de 150 à 180 chevaux. On ne vendait pas dans les pêcheries mais à l’encan, au centre ville, qui est devenu la Coursive. L’Atalante était en acier et avait un avant vertical. Pendant la seconde guerre, il a été réquisitionné par la France, s’est retrouvé dans l’estuaire de la Gironde et a coulé là. Il n’a pas été récupéré.
Le deuxième bateau a été La Vague, lancé avec Gustave Onfroy, le père de Maurice et Marguerite Onfroy. Il a été construit en région parisienne, à Villeneuve la Garenne. Il était en acier, mesurait 25 mètres et était un peu plus puissant, 180 à 200 chevaux. Réquisitionné pendant la guerre, il a été retrouvé dans un port anglais après 1945, puis récupéré et remis en état. Malheureusement, il a disparu corps et biens dans le golfe de Gascogne au sud de la Bretagne, le 18 mars 1950. On n’a rien retrouvé. Il faisait assez beau, les bateaux qui étaient aux alentours ont vu une lueur dans la nuit. Il a dû sauter sur une mine magnétique dérivante.
L’armement a eu aussi des petits bateaux en bois, le Baraka et le Hasard construits par Anatole Mallard, au pied de la tour des Quatre Sergents. A côté étaient les chantiers Vernazza et l’Union Sablaise. Les bateaux étaient lancés de la cale. Le Baraka a été réquisitionné par les Allemands. Il servait à La Pallice. Il était chargé d’ouvrir et de fermer le barrage anti-sous-marins. Il a coulé, a été retrouvé en 1945 et nous l’avons récupéré plus tard. Ramené sur la cale, il a été réparé par Mallard et a repris du service. Quand il a été vendu, mon père a fait construire à l’Union Sablaise un deuxième Baraka. Le bateau était commandé par Fernand Bornic. Ce dernier a fait construire ensuite à Etel le Majori, qui lui appartenait à 50 % et à Auger à 50 %.
Après guerre, mon père avait des droits à la reconstruction. Un Comptoir de reconstruction avait été monté par l’Union des Armateurs. Mon père a reçu un 26 mètres en remplacement de l’Atalante qui s’est appelé aussi l’Atalante. Il a été exploité longtemps et je l’ai vendu à Concarneau en novembre 1960.
En 1951, à Gravelines, mon père a trouvé le Charles Letzer et le Simone-Marie qui lui ont été attribués avec une soulte (un emprunt), en remplacement de La Vague. Nous avions le Baraka, le Hasard et mon père a racheté le Varne avec Morillon en 1954. C’était un 26 mètres, de la série du Comptoir, de type Corporation, dessiné par Guéroult, un architecte parisien.
Onfroy avait pris au Comptoir le Flux et Reflux, de 28 mètres, en remplacement du Leroux et de l’A Maria.
Mon père avait fait construire en 38 ou en 39 une coque en bois chez Mallard, le Baroudeur. Elle a été terminée juste avant l’arrivée des Allemands. Le bateau a passé toute la guerre à Marans. Il a été ramené à La Rochelle en 1946, terminé et mis en exploitation.
Les fonds n’avaient pas été pêchés pendant 8 ans, avec la guerre civile espagnol puis la seconde guerre. Les bateaux allaient au Sud Irlande et Sud Angleterre et revenaient les cales pleines de merlus. Mais cela n’a duré qu’un temps
Mon père n’a pas voulu que je m’occupe de l’armement. Je suis parti à Paris en 1945. J’ai fait des études. Je suis devenu ingénieur frigoriste et j’ai travaillé là-bas. En 1958, mon père étant gravement malade, je suis revenu à La Rochelle et j’ai pris la tête de l’armement, huit jour avant son décès. Heureusement il y avait du personnel bien formé. Jean Porcheron, le capitaine d’armement m’a secondé. J’avais un petit bureau sur le port et un chais rue du Rempart Saint Claude, un ancien entrepôt de douane. Ensuite nous avons eu un local à l’ancienne usine Pichery (conserves de sardines) à la Ville en Bois, puis l’ancienne salle des fêtes de la Ville en Bois.
L’armement avait alors l’Atalante, le Varne, le Charles Letzer, le Simone-Marie, le Baraka. J’ai changé le moteur du Varne qui était trop faible. J’ai vendu l’Atalante et, en 1959, avec Jean Morillon, j’ai commandé l’Euros qui a été construit en Hollande chez Kramer et Booy, un 37 mètres avec moteur de 750 chevaux. André Baron, un de mes deux associés, a pris sa retraite.
En 1961, nous avons fait alors construire par la Siccna à Saint Malo deux bateaux identiques, le Jalène et le Corino. C’était des bateaux un peu plus courts (35 mètres) avec des moteurs de 800 chevaux. Et dans la foulée, avec d’autres associés, nous avons fait construire le Chantaco, du nom du golf de Biarritz.
En 1964, nous avons commandé le Koros (38 mètres, 800 chevaux), en Hollande avec Jean Morillon et le Luc-Bernard (40-42 mètres, 1 000 chevaux) au chantier de la Manche à Dunkerque, avec André Baron.
Ensuite, le marasme a commencé. En 1967, j’ai vendu le Varne à un patron de La Rochelle, puis le Jalène et le Chantaco à Abidjan. Un an après, un noir d’Abidjan a acheté le Corino. Le Charles Letzer et le Simone-Marie ont été vendus en Sicile, à Catane, à M. di Maoro. Ce monsieur a bien exploité les bateaux et m’a envoyé ses vœux pendant 10 ou 15 ans.
En 1968 toujours, j’ai racheté le Saint-Blaise à Jean-Claude Menu et le Yves Dumanoir à Guelfi. Ce Guelfi a défrayé la chronique. Il était un ami de Moctar Oul Dada en Mauritanie et du sultan du Maroc. Il a été mêlé à une histoire de frégates. Il avait fait construire un grand sardinier et l’Adrien Pla, le premier pêche arrière.
En 1971, nous avons acheté à l’armement Delhemmes de Concarneau, le chalutier Tourmalet avec Albert Sévellec, patron de pêche. Ce bateau s’est échoué sur un îlot désert au sud de l’Irlande, l’homme de quart s’étant endormi. Il a été remplacé en 1973 par le chalutier Bigorre exploité à La Rochelle jusqu’en 1977. Il a été vendu en Italie.
J’ai commandé mon premier pêche arrière avant le choc pétrolier, le Kresala (42 mètres, 1 500 chevaux), à un chantier espagnol à Zumaya. Il a été livré deux ans après en 1975. Ce même chantier avait fait l’Antiochus pour Mme Onfroy. J’ai exploité le Kresala jusqu’en 1985 et je l’ai vendu en Argentine.
Mon dernier bateau a été le Scapiria construit aux Sables d’Olonne par le chantier du Bastion, en copropriété avec la Scapir. Il a été exploité 4 ou 5 ans et géré par les mareyeurs (la Sarma) puis par Elian Castaing. J’ai arrêté mon activité le 31 décembre 1990.
Le Saint-Blaise et le Koros se sont arrêtés en 1985 et sont partis à Dakar rejoindre l’armement Adrien. Ils ont été transformés avec l’installation de congélateurs et ont été exploités là bas.
J’ai été pendant 32 ans à la tête de l’armement. Le Koros et le Saint-Blaise ont parfaitement marché, le Jalène, le Corino et le Chantaco ont bien marché puis ont été démodés. L’Yves Dumanoir avait une hélice à pas variable et pas de réducteur. Il consommait 10 000 litres de gasoil de plus en 15 jours que le Koros et le Saint-Blaise.
La vie de l’armement
Les équipages étaient surtout constitués de Bretons, de Groisillons, Jean et Pierre Marrec, Joseph Tonnerre. Ils faisaient venir les cousins, les amis. Ils formaient des équipages stables. Albert Sevellec était originaire des Sables d’Olonne. Ernest Ansquer était sur le Saint-Blaise, Claude Gueguen a navigué sur le Koros, l’Euros, le Kresala. Il y a eu aussi Pierrot Lofficial, le beau-frère d’Ansquer, sur l’Yves Dumanoir.
En 1968, la grève a été menée par Bobinec, le secrétaire du syndicat CGT des marins. J’avais un bateau en gérance dont les propriétaires étaient d’Arcachon. Pendant la grève tous les bateaux sont rentrés. Ce bateau-là est rentré trois ou quatre jours après. Il n’y avait plus d’encan. Il était à mi-marée. Il est arrivé avec huit à dix tonnes de poisson. On s’est installé sur le quai de la Coupure. En deux matinées, on a tout vendu en direct.
Le syndicat des armateurs à la pêche regroupait des gens comme Jean Gaury, Robert Sanquer, Maurice Onfroy, Jean-Claude Menu qui en a été le dernier président. J’étais secrétaire. Je n’ai jamais voulu être président.
Nous avons eu trois fois des sous-marins dans le chalut ou dans les funes. Le premier a été l’Euros et le sous-marin allait dans le sens opposé. Les funes étaient accrochées au chien et le bateau a commencé à reculer. L’équipage a pu couper les funes. Le deuxième a été le Koros. Un sous-marin français était en manœuvre dans le golfe. Il s’est pris dans le chalut et a fait surface. Ils se sont parlés. Claude Gueguen était le patron. Le sous-marin a pu se dégager. Le troisième était le Fomalhaut avec Yves Joncour comme patron. Il faisait mauvais temps. Le sous-marin anglais a fait surface et Yves Joncour a commencé à virer pour avoir assez de funes pour regréer et éviter de perdre un train complet. Le patron a fini sa marée et les Anglais ont remboursé les dégâts.
Six mois après mon retour de Paris, le second Baraka s’est échoué sur la côte des Landes. L’homme de quart s’était endormi. Le bateau était sur la plage. L’Euros qui était en pêche a passé une fune mais sans succès. L’assureur du bateau, c’était la SAMAP (Société d’Assurances Mutuelle d’Armement à la Pêche) de Lorient. C’est le père de Gérard Cognacq, l’ancien directeur de la criée de La Rochelle, qui, étant leur expert maritime, s’était occupé du dossier. Finalement, un chenal a été creusé par un bulldozer et un remorqueur de La Pallice a réussi à le tirer de là.
A bord du Koros, un homme a été tué par un panneau de chalut (poids : 800 kg). Sur le Varne, ils ont perdu un homme en mer. Nous avons eu à déplorer aussi deux décès en mer d’une crise cardiaque.
A une époque des déchets nucléaires étaient déversés au large, sur le secteur de la Grande Sole. Des fûts en béton ont été pêchés et certains ont été ouverts par les équipages.
Les bateaux allaient pêcher depuis l’Espagne jusqu’aux côtes de l’Angleterre. Certains patrons rochelais s’étaient faits une spécialité de la côte d’Espagne où ils allaient pêcher la dorade. Avec la surexploitation des fonds, ils sont remontés vers la Grande Sole, la Petite Sole, le canal Saint Georges, l’île de Man, l’Ouest Irlande. Les pêche arrière sont allés jusqu’à Nord Irlande et Nord Ecosse.
Avant l’obligation du paiement par chèque, le règlement des équipages se faisait en espèce. Chaque bateau avait son café, la Renommée, Garcia, le Tout va bien, etc. J’arrivais au café avec la feuille de marée et je distribuais les parts… »
André Auger a fait partie de toute une lignée d’armateurs qui ont porté la pêche industrielle depuis la fin de la guerre de 14-18 à la fin des années 80. Ils ont été nombreux, les Dahl, Gaury, Castaing, Menu, Onfroy, Guelfi, la Sarma et bien d’autres. La pêche industrielle a disparu de La Rochelle remplacée par une activité artisanale.
Yves Gaubert